S.
NOTE ADDITIONNELLE
SUR
LA LIBIDOL'introduction que j'ai écrite pour ce volume — elle a d'abord
paru dans la Revue de Genève de décembre 1920 — contient un passage
que M. le prof. Freud considère comme ne rendant pas exactement
sa manière de voir. C'est celui qui concerne la libido (v. plus haut,
p. 18). J'ai, à son gré, trop désexualisé ce processus, et je n'ai pas assez
tenu compte de la distinction qu'il fait entre les tendances sexuelles
(Sexualtriebe) et les tendances personnelles (Ichtriebe) en déclarant
que « l'instinct sexuel est le mobile fondamental de toutes les mani
festations de l'activité psychique ».
Dans cette édition, j'ai modifié légèrement cette dernière formule
en écrivant : « l'instinct sexuel participe à la plupart des manifesta
tions de l'activité psychique ». Mais je crains que cette correction
ne satisfasse pas entièrement mon illustre collègue de Vienne, et je
préfère reproduire ici un fragment de sa lettre, d'autant plus qu'il
s'agit d'une question capitale selon lui, et au sujet de laquelle sa
pensée est souvent incomprise :« . . . Sur un point — si vous voulez me permettre cette critique —
vous me faites tort, et vous donnez au lecteur une information inexacte.
C'est dans le passage suivant : 8. La libido. L'instinct sexuel est le
mobile fondamental de toutes les manifestations de l'activité psychique.
En vous ajoutant un peu plus loin que ni moi ni mes disciples n'avons
jamais été bien clairs à ce sujet : Mais il faut savoir lire entre les
lignes, dites-vous, et saisir l'esprit et non la lettre de la théorie. » Je suis
surpris que ce malentendu habituel ait pu se glisser aussi sous votreS.
70 LA PSYCHANALYSE
plume. J'ai, bien au contraire, répété et déclaré aussi clairement
que possible, à propos des névroses par transfert (Uebertragungs
neurosen), que j'établissais la distinction des Sexualtriebe et des
Ichtriebe, et que pour moi Libido ne signifie que l'énergie des pre
mières, des sexualtriebe. C'est Jung, et non pas moi, qui fait de la
libido l'équivalent de la poussée instinctive, de toutes les facultés
psychiques et qui combat la nature sexuelle de la libido. Votre exposé
ne cadre ni avec ma conception, ni avec celle de Jung, mais constitue
un mélange des deux. À moi vous empruntez la nature sexuelle de
la libido, à Jung sa signification générale. Et ainsi se trouve créé,
dans la fantaisie des critiques, un pansexualisme qui n'existe ni chez
moi, ni chez Jung. »
« En ce qui me concerne, je reconnais entièrement l'existence du
groupe des Ichtriebe, ainsi que tout ce dont la vie mentale lui est
redevable. Mais ceci reste ignoré du grand public, où il est mal dékoché.
On se comporte souvent de la même façon quant à la façon d'exposer
ma théorie des rêves. Je n'ai jamais prétendu que tout rêve exprimait
la réalisation d'un désir sexuel, et souvent j'ai affirmé le contraire.
Mais cela ne sert à rien, et on répète toujours la même chose. »
« Avec mon cordial merci et mes dévouées salutations, votre
« F R E U D. »
Tout en exprimant à M. le prof. Freud, qui la suit, permet au lec
teur de prendre connaissance des formules mêmes du père de la
Psychanalyse.
Mais, il est à peine besoin de le dire, mon texte avait l'ambition,
sinon de reproduire la conception même de Freud dans ses subtiles
nuances, ce qui était je le répète, impossible et inutile, du moins
de donner une conception de la libido qui, tout en étant dictée par
l'idée que je me fais moi-même de ce processus, s'harmonisât, dans
ses grandes lignes, avec celle de Freud. Je me flattais de m'être
placé à un point de vue qui rétablissait l'entente entre la doctrine
originale et l'interprétation psychologique que j'en ai toujours don
née — et qui, je crois, pouvait être dire, n'était pas étrangère à celle que
voir Jahrbuch f. Psychoanal., Bd V,
voir Jahrb. f. ps. Bd III,
Freud identifie plus ou moins la libido et l'intérêt). Je le
croyais d'autant plus qu'il ne m'est pas possible de comprendre la théorie
de la libido qu'en l'interprétant comme je l'ai fait.S.
LA PSYCHANALYSE 71
Il paraît que je me suis lourdement trompé, en me figurant
— bien naivement je le vois — pouvoir « saisir en lisant entre les lignes ».
Le malheur est que, si j'en reste à la lettre même des textes, ce n'y
suis plus du tout. Qu'est-ce alors que la libido, pour Freud ? Ce n'est
ni la poussée sexuelle, au sens courant, puisqu'il nous dit et nous répète
que, pour lui, l'instinct sexuel dépasse l'instinct de reproduction,
que le sexuel n'est pas nécessairement lié au génital. Et ce n'est pas
davantage la volupté associée à toute satisfaction organique, puisqu'il
proteste contre mon texte, qui exprime cette manière de voir, en
déclarant que la libido est toujours de nature sexuelle.La libido, ce serait, un processus sexuel, mais non génital. Mais
qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Qu'est-ce qu'un processus
qui reste sexuel sans avoir plus rien affaire avec l'instinct de repro
duction ? Car précisément, le sexuel se définit par son appartenance,
organique et fonctionnelle, au système de reproduction. Et je ne vois
pas d'autre définition possible. Enlever la parenté à la notion de
sexuel, c'est ne plus savoir ce que veut parler dire.Les phénomènes psychophysiologiques ne portent pas de petites
étiquettes qui nous renseignent sur leur nature, sur la classe à laquelle
ils appartiennent, celle-ci ne peut être déterminée que de deux façons :
1° par la nature de l'organe où se passe l'excitation ; 2° par la nature
de l'organe qui est le siège de la réaction. Un processus ne peut donc être
dit sexuel que s'il emprunte, au départ ou à l'arrivée, un organe
appartenant au système de reproduction.Une surface, sensible étrangère au système génital ne mérite,
à mon sens, le nom de zone érogène, que pour autant que les excitations
qui en dérivent suscitent des réflexes génitaux. C'est dire que, contrai
rement à ce que semble penser M. Freud, ces surfaces sensibles ne
sont que facultativement érogènes. Toute douleur peut être érogène.
Les bras, par exemple. Ils le sont lorsqu'on embrasse une personne
de l'autre sexe; ils cessent de l'être lorsqu'on embrasse une botte
de paille.C'est ainsi, ce me semble, qu'il faudrait poser la question si
brutale de la sexualité infantile. Je dois déclarer que, contrairement
à la plupart des critiques de Freud, je n'ai absolument rien contre
l'existence d'une sexualité chez l'enfant. Je suis dépourvu de tout
parti pris à ce sujet. Que le petit bébé possède ou ne possède pas de
tendances sexuelles, cela m'est complètement indifférent. Ce qui
me l'est moins, c'est de déclarer qu'il en est doué et ce n'est pas le cas.
Or, que peut démontrer érogène la zone buccale tant qu'on n'a pas
démontré que les excitations qui en partent suscitent des réflexes
génitaux? Ainsi que je l'ai dit ailleurs « dire que le plaisir de téter
est un plaisir sexuel n'a, à mon avis, aucun sens. . . Ce qui est, et vrai
semblable, c'est que l'enfant, justement parce qu'il ne possède pas
encore de tendances sexuelles, concentre sur son instinct de nutrition
toutes les ardeurs dont il est capable : l'instinct de nutrition, n'ayant
pas encore en l'instinct sexuel le plus redoutable des concurrents,
attire à lui et monopolise pour sa satisfaction toutes les énergiesS.
72 LA PSYCHANALYSE
du corps et de l'âme. Pourquoi la volupté de manger serait-elle
une volupté sexuelle ?
La psychanalyse a apporté à la psychologie de grandes et belles
vérités. Il serait bien dommage qu'elle continuât à être indûment
entravée dans sa marche par une théorie abstruse de la libido. C'est
précisément pour éviter cet écueil que j'ai cherché à donner à cette
théorie la forme qui, dans l'état actuel de nos conceptions biologiques
et psychologiques, me paraît la seule légitime — parce qu'elle est la
seule intelligible.ED. CLAPARÈDE.
S.
freud1921psychanalyse
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