Brief an Edouard Claparède 1921-071/1921
  • S.

    NOTE ADDITIONNELLE
    SUR
    LA LIBIDO

    L'introduction que j'ai écrite pour ce volume — elle a d'abord
    paru dans la Revue de Genève de décembre 1920 — contient un passage
    que M. le prof. Freud considère comme ne rendant pas exactement
    sa manière de voir. C'est celui qui concerne la libido (v. plus haut,
    p. 18). J'ai, à son gré, trop désexualisé ce processus, et je n'ai pas assez
    tenu compte de la distinction qu'il fait entre les tendances sexuelles
    (Sexualtriebe) et les tendances personnelles (Ichtriebe) en déclarant
    que « l'instinct sexuel est le mobile fondamental de toutes les mani­
    festations de l'activité psychique ».
    Dans cette édition, j'ai modifié légèrement cette dernière formule
    en écrivant : « l'instinct sexuel participe à la plupart des manifesta­
    tions de l'activité psychique ». Mais je crains que cette correction
    ne satisfasse pas entièrement mon illustre collègue de Vienne, et je
    préfère reproduire ici un fragment de sa lettre, d'autant plus qu'il
    s'agit d'une question capitale selon lui, et au sujet de laquelle sa
    pensée est souvent incomprise :

    « . . . Sur un point — si vous voulez me permettre cette critique —
    vous me faites tort, et vous donnez au lecteur une information inexacte.
    C'est dans le passage suivant : 8. La libido. L'instinct sexuel est le
    mobile fondamental de toutes les manifestations de l'activité psychique.
    En vous ajoutant un peu plus loin que ni moi ni mes disciples n'avons
    jamais été bien clairs à ce sujet : Mais il faut savoir lire entre les
    lignes, dites-vous, et saisir l'esprit et non la lettre de la théorie. » Je suis
    surpris que ce malentendu habituel ait pu se glisser aussi sous votre

  • S.

    70 LA PSYCHANALYSE


    plume. J'ai, bien au contraire, répété et déclaré aussi clairement
    que possible, à propos des névroses par transfert (Uebertragungs­
    neurosen), que j'établissais la distinction des Sexualtriebe et des
    Ichtriebe, et que pour moi Libido ne signifie que l'énergie des pre­
    mières, des sexualtriebe. C'est Jung, et non pas moi, qui fait de la
    libido l'équivalent de la poussée instinctive, de toutes les facultés
    psychiques et qui combat la nature sexuelle de la libido. Votre exposé
    ne cadre ni avec ma conception, ni avec celle de Jung, mais constitue
    un mélange des deux. À moi vous empruntez la nature sexuelle de
    la libido, à Jung sa signification générale. Et ainsi se trouve créé,
    dans la fantaisie des critiques, un pansexualisme qui n'existe ni chez
    moi, ni chez Jung. »
    « En ce qui me concerne, je reconnais entièrement l'existence du
    groupe des Ichtriebe, ainsi que tout ce dont la vie mentale lui est
    redevable. Mais ceci reste ignoré du grand public, où il est mal dékoché.
    On se comporte souvent de la même façon quant à la façon d'exposer
    ma théorie des rêves. Je n'ai jamais prétendu que tout rêve exprimait
    la réalisation d'un désir sexuel, et souvent j'ai affirmé le contraire.
    Mais cela ne sert à rien, et on répète toujours la même chose. »
    « Avec mon cordial merci et mes dévouées salutations, votre
     

    « F R E U D. »


    Tout en exprimant à M. le prof. Freud, qui la suit, permet au lec­
    teur de prendre connaissance des formules mêmes du père de la
    Psychanalyse.
    Mais, il est à peine besoin de le dire, mon texte avait l'ambition,
    sinon de reproduire la conception même de Freud dans ses subtiles
    nuances, ce qui était je le répète, impossible et inutile, du moins
    de donner une conception de la libido qui, tout en étant dictée par
    l'idée que je me fais moi-même de ce processus, s'harmonisât, dans
    ses grandes lignes, avec celle de Freud. Je me flattais de m'être
    placé à un point de vue qui rétablissait l'entente entre la doctrine
    originale et l'interprétation psychologique que j'en ai toujours don­
    née — et qui, je crois, pouvait être dire, n'était pas étrangère à celle que
    voir Jahrbuch f. Psychoanal., Bd V,
    voir Jahrb. f. ps. Bd III,
    Freud identifie plus ou moins la libido et l'intérêt). Je le
    croyais d'autant plus qu'il ne m'est pas possible de comprendre la théorie
    de la libido qu'en l'interprétant comme je l'ai fait.

  • S.

    LA PSYCHANALYSE 71


    Il paraît que je me suis lourdement trompé, en me figurant
    — bien naivement je le vois — pouvoir « saisir en lisant entre les lignes ».
    Le malheur est que, si j'en reste à la lettre même des textes, ce n'y
    suis plus du tout. Qu'est-ce alors que la libido, pour Freud ? Ce n'est
    ni la poussée sexuelle, au sens courant, puisqu'il nous dit et nous répète
    que, pour lui, l'instinct sexuel dépasse l'instinct de reproduction,
    que le sexuel n'est pas nécessairement lié au génital. Et ce n'est pas
    davantage la volupté associée à toute satisfaction organique, puisqu'il
    proteste contre mon texte, qui exprime cette manière de voir, en
    déclarant que la libido est toujours de nature sexuelle.

    La libido, ce serait, un processus sexuel, mais non génital. Mais
    qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Qu'est-ce qu'un processus
    qui reste sexuel sans avoir plus rien affaire avec l'instinct de repro­
    duction ? Car précisément, le sexuel se définit par son appartenance,
    organique et fonctionnelle, au système de reproduction. Et je ne vois
    pas d'autre définition possible. Enlever la parenté à la notion de
    sexuel, c'est ne plus savoir ce que veut parler dire.

    Les phénomènes psychophysiologiques ne portent pas de petites
    étiquettes qui nous renseignent sur leur nature, sur la classe à laquelle
    ils appartiennent, celle-ci ne peut être déterminée que de deux façons :
    1° par la nature de l'organe où se passe l'excitation ; 2° par la nature
    de l'organe qui est le siège de la réaction. Un processus ne peut donc être
    dit sexuel que s'il emprunte, au départ ou à l'arrivée, un organe
    appartenant au système de reproduction.

    Une surface, sensible étrangère au système génital ne mérite,
    à mon sens, le nom de zone érogène, que pour autant que les excitations
    qui en dérivent suscitent des réflexes génitaux. C'est dire que, contrai­
    rement à ce que semble penser M. Freud, ces surfaces sensibles ne
    sont que facultativement érogènes. Toute douleur peut être érogène.
    Les bras, par exemple. Ils le sont lorsqu'on embrasse une personne
    de l'autre sexe; ils cessent de l'être lorsqu'on embrasse une botte
    de paille.

    C'est ainsi, ce me semble, qu'il faudrait poser la question si
    brutale de la sexualité infantile. Je dois déclarer que, contrairement
    à la plupart des critiques de Freud, je n'ai absolument rien contre
    l'existence d'une sexualité chez l'enfant. Je suis dépourvu de tout
    parti pris à ce sujet. Que le petit bébé possède ou ne possède pas de
    tendances sexuelles, cela m'est complètement indifférent. Ce qui
    me l'est moins, c'est de déclarer qu'il en est doué et ce n'est pas le cas.
    Or, que peut démontrer érogène la zone buccale tant qu'on n'a pas
    démontré que les excitations qui en partent suscitent des réflexes
    génitaux? Ainsi que je l'ai dit ailleurs « dire que le plaisir de téter
    est un plaisir sexuel n'a, à mon avis, aucun sens. . . Ce qui est, et vrai­
    semblable, c'est que l'enfant, justement parce qu'il ne possède pas
    encore de tendances sexuelles, concentre sur son instinct de nutrition
    toutes les ardeurs dont il est capable : l'instinct de nutrition, n'ayant
    pas encore en l'instinct sexuel le plus redoutable des concurrents,
    attire à lui et monopolise pour sa satisfaction toutes les énergies

  • S.

    72 LA PSYCHANALYSE


    du corps et de l'âme. Pourquoi la volupté de manger serait-elle
    une volupté sexuelle ?
    La psychanalyse a apporté à la psychologie de grandes et belles
    vérités. Il serait bien dommage qu'elle continuât à être indûment
    entravée dans sa marche par une théorie abstruse de la libido. C'est
    précisément pour éviter cet écueil que j'ai cherché à donner à cette
    théorie la forme qui, dans l'état actuel de nos conceptions biologiques
    et psychologiques, me paraît la seule légitime — parce qu'elle est la
    seule intelligible.

    ED. CLAPARÈDE.

  • S.

    SIGM. FREUD

     

    La Psychanalyse

     

    TRADUCTION FRANÇAISE YVES LE LAY UNE INTRODUCTION PAR EDOUARD CLAPARÈDE

     

    GENEVE S. A. DES ÉDITIONS SONOR 46 Rue du Stand, 46 1921