Sigmund Freud an Maxim Leroy: Brief über einen Traum des Cartesius 1929-071/1934
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    BRIEF AN MAXIM LEROY
    ÜBER EINEN TRAUM DES CARTESIUS.

    Zuerst veröffentlicht in dem Werk von Maxim Leroy:
    Descartes, le philosophe au masque (Paris, 1929, Editions
    Rieder, 1929). Maxim Leroy hat dem Verfasser einen
    Traum des Descartes zur Beurteilung vorgelegt; der nach-
    folgende Brief enthält die Antwort des Verfassers zu dem
    ihm vorgelegten Material.

    In prenant connaissance de votre lettre me priant d’examiner quelques
    rêves de Descartes, mon premier sentiment fut une impression d’angoisse.

    1) Leroy gibt in seinem Buche folgenden Bericht über diesen Traum (Tom. I,
    Chapitre VI, Les songes d’une nuit de Souabe):
    «Alors, dans la nuit, où tout est fièvre, orage, panique, des fantômes se lèvent devant le
    songeur. Il essaie de se lever, pour les chasser. Mais il retombe, honteux de lui-même, en
    sentant une grande faiblesse l’incommoder au côté droit. Brusquement, s’ouvre une fenêtre de sa
    chambre. Épouvanté, il se sent emporté dans les rafales d’un vent impétueux, qui le fait pirouetter
    plusieurs fois, sur le pied gauche.
    «Se traînant et titubant, il arrive devant les bâtiments du collège où il a été élevé. Il tente
    un effort désespéré pour entrer dans la chapelle, afin d’y faire ses dévotions. À ce moment, des
    passants arrivent. Il veut s’arrêter, leur parler, il remarque que l’un d’eux porte un melon.
    Mais un vent violent le repousse vers la chapelle.
    «Il ouvre alors les yeux, tiraillé par une vive souffrance au côté gauche. Il ne sait s’il rêve
    ou s’il est éveillé. Mal éveillé, il se dit qu’un mauvais génie a voulu le séduire et il murmure
    quelques prières pour l’exorciser.
    «Il se rendort. Un coup de tonnerre le réveille, remplissant sa chambre d’étincelles. Il se
    demande une fois encore s’il dort ou s’il veille, si c’est rêve ou rêverie, ouvrant et fermant
    les yeux pour trouver une certitude; puis, rassuré, il s’assoupit, la fatigue l’emporte.
    «Le cerveau en feu, ces rumeurs et ces sourdes souffrances l’excluent. Descartes ouvre un
    dictionnaire; puis un recueil de poésies. Ce recuehois Arapide, me, que sur veris, Quid vitae
    sectaber iter? Encore un voyage au pays des songes? Alors, soudain, un homme qu’il ne connaît
    pas, survient, prétendant lui faire lire une pièce d’Ausone, commençant par ces mots: Est et
    non. Mais l’homme disparaît, un autre survient. Le livre s’évanouit à son tour, puis revient,
    orné de portraits en taille douce. La nuit s’apaise, enfin.»

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    car travailler sur des rêves sans pouvoir obtenir du rêveur lui-même des
    indications sur les relations qui peuvent les relier entre eux ou les rattacher
    au monde extérieur — et c’est bien le cas lorsqu’il s’agit des rêves de
    personnages historiques — ne donne, en règle générale, qu’un maigre
    résultat. Par la suite, ma tâche s’est révélée plus facile que je ne m’y
    attendais; pourtant le fruit de mes recherches vous apparaîtra sans doute
    beaucoup moins important que vous n’étiez en droit de l’espérer.
    Les rêves de notre philosophe sont ce que l’on appelle des «rêves d’en
    haut» (Träume von oben), c’est-à-dire des formations d’idées qui auraient
    pu être créées aussi bien pendant l’état de veille que pendant l’état de
    sommeil et qui, en certaines parties seulement, ont tiré leur substance
    d’états d’âme assez profonds. Aussi ces rêves présentent-ils le plus souvent
    un contenu à forme abstraite, poétique ou symbolique.
    L’analyse de ces sortes de rêves nous amène communément à ceci: nous
    ne pouvons pas comprendre le rêve, mais le rêveur — ou le patient —
    sait le traduire immédiatement et, sans difficulté, étant donné que le
    contenu du rêve est très proche de sa pensée consciente. Il reste alors
    encore quelques parties du rêve au sujet desquelles le rêveur ne sait que
    dire: ce sont, précisément, les parties qui appartiennent à l’inconscient et
    qui, sous bien des rapports, sont les plus intéressantes.
    Dans le cas le plus favorable, on explique cet inconscient en s’appuyant
    sur les idées que le rêveur y a ajoutées.
    Cette façon de juger les «rêves d’en haut» (et il faut entendre ce terme
    dans le sens psychologique, et non dans le sens mystique) est celle qu’il
    y a lieu d’observer dans le cas des rêves de Descartes.
    Notre philosophe les interprète lui-même1 et, nous conformant à toutes
    les règles de l’interprétation des rêves — nous devons accepter son ex-

    1) Die hierauf bezüglichen Textstellen lauten (M. Leroy, l. c., p. 85 ss):
    «Il jugea que le Dictionnaire ne voulait dire autre chose que toutes les Sciences ramassées
    ensemble; et que le Recueil des Poëtes intitulé le **Corpus Poëtarum**, marquait en particulier
    et d’une manière plus distincte la Philosophie et la Sagesse jointes ensemble. . . . M. Des-
    cartes commenta d’interpréter son songe dans le conseil, estimant que la pièce de Vers sur
    l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir, et qui commence par **Quid vitae sectabor iter**,
    marquait le bon conseil d’une personne sage, ou même la Théologie Morale . . .
    «Par les Poëtes rassemblés dans le Recueil, il entendoit la Révélation et l’Enthousiasme, dont
    il ne désespérait pas de se voir favorisé. Par la pièce de Vers **Est et Non**, qui est le Oui
    et le Non de Pythagore, il comprenait la Vérité et la Fausseté dans les connaissances humaines,
    et les sciences profanes. Voyant que l’application de toutes ces choses réussissait si bien à son

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    plication, mais il faut ajouter que nous ne disposons pas d’une voie qui
    nous conduise au delà.
    Confirmant son explication, nous dirons que les entraves qui empêchent
    **Descartes** de se mouvoir avec liberté nous sont exactement connues: c’est
    la représentation, par le rêve, d’un conflit intérieur. Le côté gauche est la
    représentation du mal et du péché et le vent celle du «mauvais génie» (animus).
    Les différentes personnes qui se présentent dans le rêve ne peuvent
    naturellement être identifiées par nous, bien que **Descartes**, questionné,
    n’eût pas manqué de les identifier. Quant aux éléments bizarres, peu
    nombreux d’ailleurs, et presqu’absurdes, comme, par exemple, «le melon
    d’un pays étranger», et les petits portraits, ils restent inexpliqués.
    Pour ce qui est du melon, le rêveur a eu l’idée (originale) de figurer
    de la sorte «les charmes de la solitude, mais présentés par des sollicitations
    purement humaines». Ce n’est certainement pas exact, mais ce pourrait
    être une association d’idées qui mènerait sur la voie d’une explication
    exacte. En corrélation avec son état de péché, cette association pourrait
    figurer une représentation sexuelle, qui a occupé l’imagination du jeune
    solitaire.
    Sur les portraits, **Descartes** ne donne aucun éclaircissement.


    gré, il fut assez hardi pour se persuader, que c’était l’**Esprit de Vérité** qui avoit voulu lui
    ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restait plus à expliquer
    que les petits Portraits de taille douce qu’il avoit trouvés dans le second livre, il n’en chercha
    plus l’explication après la visite qu’un Peintre Italien lui rendit dès le lendemain.
    «Ce dernier songe qui n’avait rien eu que de fort doux et de fort agréable, marquait l’avenir
    selon lui, et il n’était que pour ce qui devait lui arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit
    les deux précédents pour des avertissements touchant sa vie passée, qui pouvoit n’avoir
    pas été aussi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c’était la raison de
    la terreur et de l’effroi dont ces deux songes étaient accompagnés. Le melon dont on voulait
    lui faire présent dans le premier songe, signifiait, disait-il, les charmes de la solitude, mais
    présentés par des sollicitations purement humaines. Le vent qui le poussait vers l’Église du
    collège, lorsqu’il avait mal au côté droit, n’était autre chose que le **mauvais Génie** qui tâchait
    de le jeter par force dans un lieu, où son dessein était d’aller volontairement. C’est pourquoi
    Dieu ne permit pas qu’il avançât plus loin, et qu’il se laissa emporter même en un lieu saint
    par un Esprit qu’il n’avait pas invoqué, quoiqu’il fût très persuadé que c’était l’**Esprit de
    Dieu** qui lui avait fait faire les premières démarches vers cette église. L’épouvante dont il fut
    frappé dans le second songe, marquait, à son sens, sa synérèse, c’est-à-dire les remords de sa
    conscience touchant les péchés qu’il pouvait avoir commis pendant le cours de sa vie jusqu’alors.
    La foudre dont il entendit l’éclat, était le **signal de l’esprit de vérité** qui descendait sur lui
    pour le posséder.»