Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiqes et hystériqes 1893-006/1911
  • S.

    111,

    Quelques considérations pour une étude com-
    parative des paralysies motrices organiques
    et hystériques”).

    M. Charcot, dont j'ai été l’élève en 1885 et 1886, a bien
    voulu, à cette époque, me confier le soin de faire une étude
    comparative des paralysies motrices organiques et hystériques,
    basée sur les observations de la Salpótriére, qui pourrait servir
    å saisir quelques caractéres généraux de la névrose et conduire
    à une conception sur la nature de cette dernière. Des causes
    accidentelles et personnelles m'ont empéché pendant longtemps
    d'obéir à son inspiration; aussi je ne veux apporter maintenant
    que quelques rósultats de mes recherches, laissant à cóté les
    détails nécessaires pour une démonstration compléte de mes.
    opinions.

    I. — Il faudra commencer par quelques remarques sur les
    paralysies motrices organiques, d'ailleurs généralement admises.
    La clinique nerveuse reconnait deux sortes de paralysies motrices,
    la paralysie périphero-spinale (ou bulbaire) et la paralysie céré-
    brale. Cette distinction est parfaitement en accord avec les
    données de l'anatomie du système nerveux qui nous montrent
    qu'il n'y a que deux segments sur le parcours des fibres motrices
    conductrices, le premier qui va de la périphérie jusqu'aux cel-
    lules des cornes antérieures dans la moelle, et le second qui va
    de là jusqu'à l’écorce cérébrale. La nouvelle histologie du
    système nerveux, fondée sur les travaux de Golgi, Ramón y Cajal,
    Kölliker, etc., traduit ce fait par les mots: „le trajet des fibres

    1) Archives de Neurologie, No. 77, 1898.

  • S.

    31

    de conduction motrices est constitué par deux neuron (unités
    nerveuses cellulo-fibrillaires), qui se rencontrent pour entrer en
    relation au niveau des cellules dites motrices des cornes antéri-
    eures“, La différence essentielle de ces deux sortes de paralysies,
    en clinique, est la suivante: La paralysie périphéro-spinale est
    une paralysie détaillée, la paralysie cérébrale est une paralysie
    en masse. Le type de la première est la paralysie faciale dans
    la maladie de Bell, la paralysie dans la poliomyélite aiguë de
    l’enfance, ete. Or, dans ces affections, chacque muscle, on pour-
    rait dire chaque fibre musculaire, peut être paralysée individuelle-
    ment et isolément. Cela ne dépend que du siège et de l’étendue
    de la lésion nerveuse, et il n’y a pas de règle fixe pour que
    Tun des éléments périphériques échappe à la paralysie, tandis
    que l’autre en souffre d’une manière constante.

    La paralysie cérébrale, au contraire, est toujours une affec-
    tion qui attaque une grande partie de la périphérie, une extré-
    mité, un segment de celle-ci, un appareil moteur compliqué.
    Jamais elle n'affecte un muscle individuellement, par exemple le
    biceps du bras, le tibial isolément, etc., et s’il y a des excep-
    tions apparentes à cette règle (le ptosis cortical, par exemple),
    on voit bien qu’il s’agit de muscles qui, à eux seuls, remplissent
    une fonction de laquelle ils sont Vinstrument unique.

    Dans les paralysies cérébrales des extrémités, on peut re-
    marquer que les segments périphériques souffrent toujours plus
    que les segments rapprochés du centre; la main, par exemple,
    est plus paralysée que l’épaule. Il n’y a pas, que je sache, une
    paralysie cérébrale isolée de l'épaule, la main conservant sa
    motilité, tandis que le contraire est la règle dans les paralysies
    qui ne sont pas complètes.

    Dans une étude critique sur l’aphasie, publiée en 1891,
    Zur Auffassung der Aphasien, Wien, 1891, j'ai táché de montrer
    que la cause de cette différence importante entre la paralysie
    périphéro-spinale et la paralysie cérébrale doit être cherchée
    dans la structure du système nerveux. Chaque élément de la
    périphérie correspond à un élément dans l'axe gris, qui est,
    comme le dit M. Charcot, son aboutissant nerveux; la périphérie
    est pour ainsi dire projectée sur la substance grise de la moelle,
    point pour point, élément pour élément. J'ai proposé de dénommer

  • S.

    32

    la paralysie détaillée périphéro-spinale, paralysie de projection.
    Mais il n’en est pas de même pour les relations entre les élé-
    ments de la moelle et ceux de l'écorce. Le nombre des fibres
    conductrices ne suffirait plus pour donner une seconde projec-
    tion de la périphérie sur l’écorce. Il faut supposer que les fibres
    qui vont de la moelle à l'écorce ne représentent plus chacune
    un seul élément périphérique, mais plutôt un groupe de ceux-ci
    et que même, d’autre part, un élément périphérique peut corre-
    spondre à plusieurs fibres conductrices spino-corticales. C’est
    qu’il y a un changement d’arrangement qui a eu lieu au point
    de connexion entre les deux segments du système moteur.

    Alors, je dis la reproduction de la périphérie dans l’écorce
    n’est plus une reproduction fidèle point par point, n’est plus
    une projection véritable; c’est une relation par des fibres, pour
    ainsi dire représentatives et je propose, pour la paralysie céré-
    brale, le nom de paralysie de représentation.

    Naturellement, quand la paralysie de projection est totale
    et d’une grande étendue, elle est aussi une paralysie en masse,
    et son grand caractère distinctif est effacé. D’autre part, la
    paralysie corticale, qui se distingue parmi les paralysies céré-
    brales par sa plus grande aptitude à la dissociation, présente
    cependant toujours le caractère d’une paralysie par représentation.

    Les autres différences entre les paralysies de projection
    et de représentation sont bien connues; je cite parmi elles l’in-
    tégrité de la nutrition et de la réaction électrique qui se rattache
    à la dernière. Bien que très importants dans la clinique, ces
    signes n’ont pas la portée théorique qu’il faut attribuer au pre-
    mier caractère différentiel que nous avons relevé, à savoir:
    paralysie détaillée ou en masse.

    On a assez souvent attribué à l’hystérie la faculté de
    simuler les affections nerveuses organiques les plus diverses. Il
    s’agit de savoir si d’une façon plus précise elle simule les
    caractères des deux sortes de paralysies organiques, s’il y a des
    paralysies hystériques de projection et des paralysies hystériques
    de représentation, comme dans la symptomatologie organique.
    Ici, un premier fait important se détache: l'hystérie ne simule
    jamais les paralysies périphéro-spinales ou de projection; les
    paralysies hystériques partagent seulement les caractères des

  • S.

    33

    paralysies organiques de représentation. C'est lå un fait bien
    intéressant, puisque la paralysie de Bell, la paralysie radiale,
    etc., sont parmi les affections les plus communes du système
    nerveux.

    Il est bon de faire observer ici, de maniåre å éviter toute
    confusion, que je ne traite que de la paralysie hystérique flas-
    que et non de la contracture hystérique. Il me parait im-
    possible de soumettre la paralysie et la contracture hystériques
    aux mêmes règles. Ce n’est que des paralysies hystériques flas-
    ques qu’on peut soutenir qu’elles n’affectent jamais un seul
    muscle, excepté le cas où ce muscle est Vinstrument unique
    d’une fonction, qu’elles sont toujours des paralysies en masse,
    et qu’elles correspondent sous ce rapport à la paralysie de
    représentation, ou cérébrale organique. En outre, en ce qui
    concerne la nutrition des parties paralysées et leurs réactions
    électriques, la paralysie hystérique présente les mêmes carac-
    tères que la paralysie cérébrale organique.

    Si la paralysie hystérique se rattache ainsi à la paralysie
    cérébrale et particulièrement à la paralysie corticale, qui pré-
    sente une plus grande facilité de dissociation, elle ne manque
    pas de s'en distinguer par des caractères importants. D'abord
    elle n’est pas soumise à cette règle, constante dans les paraly-
    sies córóbrales organiques, à savoir que le segment périphé-
    rique est toujours plus affecté que le segment central Dans
    l’hystérie, l'épaule ou la cuisse peuvent être plus paralysées
    que la main ou le pied. Les mouvements peuvent venir dans
    les doigts tandis que le segment central est encore absolument
    inerte. On n'a pas la moindre difficulté de produire artificiel-
    lement une paralysie isolée de la cuisse, de la jambe etc, et
    on peut assez souvent retrouver, en clinique, ces paralysies
    isolées, en contradiction avec les rågles de la paralysie orga-
    nique cérébrale.

    Sous ce rapport important, la paralysie hystérique est pour
    ainsi dire intermédiaire entre la paralysie de projection et la
    paralysie de représentation organique. Si elle ne possàde pas
    tous les caractères de dissociation et d'isolement propres à la
    première, elle n'est pas, tant s'en faut, sujette aux strictes lois
    qui régissent la dernière, la paralysie cérébrale. Ces restrictions

    Freud, Neurosonlehre. I. 2. Auflage. 3

  • S.

    34

    faites, on peut soutenir que la paralysie hystérique est aussi
    une paralysie de representation, mais d'une representation spé-
    ciale dont la charactéristique reste & trouver).

    II. — Pour avancer dans cette direction je me propose
    d'étudier les autres traits distinctifs entre la paralysie hysté-
    rique et la paralysie corticale, type le plus parfait de la para-
    lysie cérébrale organique. Le premier de ces caractères distinctifs,
    nous l’avons déjà mentionné, c’est que la paralysie hystérique,
    peut être beaucoup plus dissociée, systématisée que la paralysie
    cérébrale. Les symptômes de la paralysie organique se retrou-
    vent comme morcelés dans l'hystérie. De l’hémiplégie commune
    organique (paralysie des membres supérieur et inférieur et du
    facial inférieur) l'hystérie ne reproduit que la paralysie des
    membres et dissocie même assez souvent, et avec la plus grande
    facilité, la paralysie du bras de celle de la jambe sous forme
    de monoplégies. Du syndrome de l’aphasie organique, elle
    reproduit l'aphasie motrice à l’état d'isolement, et ce qui est
    chouse inouïe dans l’aphasie organique, elle peut créer une
    aphasie totale (motrice et sensitive) pour telle langue, sans
    attaquer le moins du monde la faculté de comprendre et
    d’articuler telle autre, comme je l’ai observé dans quelques cas
    inédits. Ce même pouvoir de dissociation se manifeste dans les
    -paralysies isolées d’un segment de membre avec intégrité com-
    plète des autres parties du même membre, ou encore dans
    l’abolition complète d’une fonction (abasie, astasie) avec intégrité
    d’une autre fonction exécutée par les mêmes organes. Cette
    dissociation est d’autant plus frappante, quand la fonction
    respectée est la plus complexe. Dans la symptomatologie orga-

    1) Chemin faisant, je ferai remarquer que ce caractère important de
    la paralysie hystérique de la jambe que M. Charcot a relevé d’après Todd,
    à savoir que l’hystérique traîne la jambe comme une masse morte au lieu
    d’exécuter la cireumduction avec la hanche que fait l’hémiplégique ordinaire,
    s'explique facilement par la propriété de là névrose que j'ai mentionné.
    Pour I'hémiplégie organique, le partie centrale de l'extrémité est toujours
    un peu indemne, le malade peut remuer la hanche et il en fait usage pour
    ce mouvement de cireumduction, qui fait avancer la jambe. Dans l’hystérie,
    la partie centrale (la hanche) ne jouit pas de ce privilège, la paralysie y
    est aussi complète que dans la partie périphérique et en conséquence, la
    jambe doit être traînée en masse.

  • S.

    35

    nique, quand il y a affaiblissement inégal de plusieurs fonctions,
    c’est toujours la fonction la plus complexe, celle d’une acqui-
    sition postérieure, qui est la plus atteinte en conséquence de la
    paralysie.

    La paralysie hystérique présente de plus un autre carac-
    tère qui est comme la signature de la névrose et qui vient
    s’ajouter au premier. En effet, comme je l’ai entendu dire à
    M. Charcot, l’hystérie est une maladie à manifestations exces-
    sives, ayant une tendance à produire ses symptômes avec la
    plus grande intensité possible. C’est un caractère qui ne se
    montre pas seulement dans les paralysies, mais aussi dans les
    contractures et les anesthésies. On sait jusqu’à quel degré de
    distorsion peuvent aller les contractures hystèriques, qui sont
    presque sans égales dans la symptomatologie organique. On
    sait aussi combien sont fréquentes dans l’hystérie les anesthé-
    sies absolues, profondes, dont les lésions organiques ne peu-
    vent reproduire qu’une faible esquisse. Il en est de même pour
    les paralysies. Elles sont souvent on ne peut plus absolues;
    Vaphasique ne profere pas un mot, tandis que l’aphasique
    organique garde presque toujours quelques syllabes, le ,oui et
    non“, un juron, etc.; le bras paralysé est absolument inerte, etc.
    Ce caractère est trop bien connu pour y persister longuement.
    Au contraire, on sait que, dans la paralysie organique, la parésie
    est toujours plus fréquente que la paralysie absolue.

    La paralysie hystérique est donc d’une limitation exacte et
    d'une intensité excessive; elle possède ces deux qualités à la fois
    et c’est en cela qu'elle contraste le plus avec la paralysie céré-
    brale organique, dans laquelle, d’une manière constante, ces deux
    caractères me s'associent pas. Il existe aussi des monoplégies
    dans la symptomatologie organique, mais celles-ci sont presque
    toujours des monoplégies a potiori et non exactement délimitées.
    Si le bras se trouve paralysé en conséquence d’une lésion cor-
    ticale organique, il y a presque toujours aussi atteinte con-
    comitante moindre du facial et de la jambe, et si cette com-
    plication ne se voit plus à un moment donné, elle a cependant
    bien existé au commencement de l'affection. La monoplégie cor-
    ticale est, à vrai dire, toujours une hémiplégie dont telle ou
    telle partie est plus ou moins effacée, mais toujours reconnais-

    8*

  • S.

    36

    sable. Pour aller plus loin, supposons que la paralysie n’ait
    affecté aucune autre partie que le bras, que ce soit une mono-
    plégie corticale pure; alors on voit que la paralysie est d'une
    intensité modérée. Aussitôt que cette monoplégie augmentera en
    intensité, qu’elle deviendra une paralysie absolue, elle perdra
    son caractère de monoplégie pure et s'accompagnere de troubles
    moteurs dans la jambe ou la face. Elle ne peut pas devenir
    absolue et restée délimitée à la fois. >

    C'est ce que la paralysie hystérique peut, au contraire,
    fort bien réaliser, comme la clinique le montre chaque jour.
    Elle affecte par exemple le bras d'une façon exclusive, on n’en
    trouve pas trace dans la jambe ou la face. De plus, au niveau
    du bras, elle est aussi forte qu’une paralysie peut l’être, et c’est
    là une différence frappante avec la paralysie organique, dif-
    férence qui prête grandement à penser.

    Naturellement, il y a des cas de paralysie hystérique dans
    lesquels l'intensité n'est pas excessive et où la dissociation n'offre
    rien de remarquable. Ceux-ci, on les reconnaît au moyen d’autres
    caractères; mais ce sont des cas qui ne portent pas l'empreinte
    typique de la névrose et qui, ne pouvant en rien nous renseigner
    sur sa nature ne présentent point d'intórét au point de vue qui
    nous occupe ici.

    Ajoutons quelques remarques d’une importance secondaire,
    qui même dépassent un peu les limites de notre sujet.

    Je constaterai d’abord que les paralysies hystériques
    s’accompagnent beaucoup plus souvent de troubles de la sen-
    sibilité que les paralysies organiques. En général, ceux-ci sont
    plus profonds et plus fréquents dans la névrose que dans la
    symptomatologie organique. Rien de plus commun que Van-
    esthésie ou l’analgésie hystérique. Qu’on se rappelle par contre
    avec quelle ténacité la sensibilité persiste en cas de lésion
    nerveuse. Si l’on sectionne un nerf péripherique, l'anesthésie
    sera moindre en étendue et intensité qu’on ne s’y attend. Si
    une lésion inflammatoire attaque les nerfs spinaux ou les centres
    de la moelle, on trouvera toujours que la motilité souffre en
    premier lieu et que la sensibilité est épargnée ou seulement
    affaiblie, car il persiste toujours quelque part des éléments
    nerveux qui ne sont pas complètement détruits. En cas de

  • S.

    37

    lésion cérébrale, on connaît la fréquence et la durée de l'hémi-
    plégie motrice, tandis que l’hémianesthésie concomitante est
    indistincte, fugace et ne se trouve pas dans tous les cas. Il
    n’y a que quelques localisations tout à fait spéciales qui puissent
    produire une affection de la sensibilité intense et durable (car-
    refour sensitif), et même ce fait n’est pas exempt de doutes.

    Cette manière d’être de la sensibilité, différente dans les
    lésions organiques et dans l’hystérie, n’est guère explicable
    aujourd'hui. Il semble qu'il y ait là un problème dont la
    solution nous renseignerait peut-être sur la nature intime des
    choses,

    Un autre point qui me parait digne d'étre relevó, c'est
    qu’il y a quelques formes de paralysie cérébrale qui ne se
    trouvent pas réalisées dans l'hystérie, pas plus que les paralysies
    périphéro-spinales de projection. Il faut citer en premier lieu
    la paralysie du facial inférieur, la manifestation la plus fréquente
    d'une affection organique du cerveau et, si je me permets de
    passer dans les paralysies sensorielles pour un moment, l'hé-
    mianopsie latérale homonyme. Je sais que c'est presque une
    gageure que de vouloir affirmer que tel ou tel symptóme ne
    se trouve pas dans l'hystérie, quand les recherches de M. Char-
    cot et de ses élèves y découvrent, on pourrait dire journelle-
    ment, des symptómes nouveaux qu'on n'avait point soupgonnés
    jusque-là. Mais il me faut prendre les choses comme elles sont
    actuellement. La paralysie faciale hystérique est fortement
    contestóe par M. Charcot et méme, si on croit ceux qui en
    sont partisans, c'est un phónoméne d'une grande rareté. L'hé-
    mianopsie n'a pas encore éte vue dans l'hystérie et, je pense,
    elle ne le sera jamais.

    Maintenant, d’où vient-il que les paralysies hystériques,
    tout en simulant de prés les paralysies corticales, s'en écartent
    par les traits distinctifs que j'ai táché d'énumérer, et quel est
    le caractère général de la représentation spéciale auquel il faut
    les rattacher? La réponse à cette question contiendrait une
    bonne et importante partie de la théorie de la nóvrose.

    IIL — Il my a pas le moindre doute sur les conditions
    qui dominent la symptomatologie de la paralysie cérébrale. Ce
    sont les faits de l'anatomie, la construction du systéme nerveux,

  • S.

    38

    la distribution de ses vaisseaux et la relation entre ces deux
    séries de faits et les circonstances de la lésion. Nous avons dit
    que le nombre moindre des fibres qui vont de la moelle au
    cortex en comparaison avec le nombre des fibres qui vont de
    la périphérie à la moelle, est la base de la différence entre la
    paralysie de projection et celle de représentation. De même,
    chaque détail clinique de la paralysie de représentation peut
    trouver son explication dans un détail de la structure cérébrale
    et vice versa nous pouvons déduire la construction du cerveau
    des caractères cliniques des paralysies. Nous croyons à un paral-
    lélisme parfait entre ces deux séries.

    Ainsi s’il n’y a pas une grande facilité de dissociation
    pour la paralysie cérébrale commune, c’est parce que les fibres
    de conduction motrices sont trop rapprochées sur une longue
    partie de leur trajet intracérébral pour être lésées isolément.
    Si la paralysie corticale montre plus de tendance aux mono-
    plégies, c’est parce que le diamètre du faisceau conducteur
    brachial, crural, etc, va en croissant jusqu'à l’écorce. Si de
    toutes les paralysies corticales celle de la main est la plus com-
    plète, cela vient, croyons-nous, du fait, que la relation croisée
    entre l'hémisphère et la périphérie est plus exclusive pour la
    main que pour toute autre partie du corps. Si le segment
    périphérique d’une extrémité souffre plus de la paralysie que
    le segment central, nous supposons que les fibres représentatives
    du segment périphérique sont beaucoup plus nombreuses que
    celles du segment central, de sorte que l'influence corticale
    devient plus importante pour le premier qu'elle n'est pour le
    dernier. Si les lésions un peu étendues de l’écorce ne réussissent
    pas à produire des monoplégies pures, nous en concluons que
    les centres moteurs sur l’écorce ne sont pas nettement séparés
    les uns des autres par des territoires neutres, ou qu’il y a des
    actions en distance (Fernwirkungen) qui anulleraient l'effet
    d’une séparation exacte des centres.

    De même s’il y a dans l'aphasie organique, toujours un
    mélange de troubles de diverses fonctions, ça s’explique par le
    fait que des branches de la même artère nourrissent tous les
    centres du langage, ou si l’on accepte l’opinion énoncée dans
    mon étude critique sur l'aphasie, parce qu'il ne s'agit pas de

  • S.

    39

    centres séparés, mais d'un territoire continu d’association. En
    tout cas, il existe toujours une raison tirée de l'anatomie.

    Les associations remarquables qu’on observe si souvent
    dans la clinique des paralysies corticales: aphasie motrice et
    hémiplégie droite, alexie et hémianopsie droite, s'expliquent par
    le voisinage des centres lésés. I/hémianopsie même, symptôme
    bien curieux et étranger à l’esprit non scientifique, ne se com-
    prend que par l’entre-croisement des fibres du nerf optique dans
    le chiasma; elle en est l’expression clinique, comme tous les
    détails des paralysies cérébrales sont l’expression clinique d’un
    fait anatomique.

    Comme il ne peut y avoir qu’une seule anatomie cérébrale
    qui soit la vraie et comme elle trouve son expression dans les
    caractères cliniques des paralysies cérébrales, il est évidemment
    impossible que cette anatomie puisse expliquer les traits distinc-
    tifs de la paralysie hystérique. Pour cette raison, il n’est pas
    permis de tirer au sujet de l’anatomie cérébrale des conclusions
    basées sur la symptomatologie de ces paralysies.

    Assurément il faut s'adresser à la nature de la lésion pour
    obtenir cette explication difficile. Dans les paralysies organiques,
    la nature de la lésion joue un rôle secondaire, ce sont plutôt
    l'étendue et la localisation de la lésion, qui dans les conditions
    données de structure du système nerveux produisent les caractères
    de la paralysie organique, que nous avons relevés. Quelle pour-
    rait être la nature de la lésion dans la paralysie hystérique,
    qui à elle seule domine la situation, indépendamment de la
    localisation, de l'étendue de la lésion et de l'anatomie du système
    nerveux?

    M. Charcot nous a enseigné assez souvent que c’est une
    lésion corticale mais purement dynamique ou fonctionnelle.

    C’est une thèse dont on comprend bien le côté négatif.
    Cela équivaut à affirmer qu’on ne trouvera pas de changements
    de tissus appréciab les al’autopsie; mais à un point de vue plus
    positif, son interprétation est loin d’être à l’abri de l’équivoque.
    Qu'est-ce donc qu’une lésion dynamique? Je suis bien sûr que
    beaucoup de ceux qui lisent les œuvres de M. Charcot, croient
    que la lésion dynamique est bien une lésion, mais une lésion
    dont on ne retrouve pas la trace dans le cadavre, comme un

  • S.

    40

    ‘œdème, une anémie, une hypérémie active. Mais ce sont là, bien
    qu’elles ne persistent pas nécessairement après la mort, des
    lésions organiques vraies, qu'elles soient légères et fugaces. Il
    ‚est nécessaire que les paralysies produites par les lésions de
    cet ordre, partagent en tout les caractères de la paralysie
    organique. L’œdème, lanémie ne pourraient, plutôt que l’hé-
    morragie et le ramollissement, produire la dissociation et
    l'intensité des paralysies hystériques. La seule différence serait
    que la paralysie par l'oedéme, par la constriction vasculaire etc,
    doit être moins durable que la paralysie par destruction du
    tissu nerveux. Toutes les autres conditions leur sont com-
    munes et l’anatomie du système nerveaux déterminera les pro-
    piétés de la paralysie aussi bien dans le cas d’anémie fugace
    que dans le cas d’anémie permanente et définitive.

    Je ne crois pas que ces remarques soient tout à fait
    gratuites. Si on lit ,qu'l doit y avoir une lésion hystérique“
    dans tel ou tel centre, le même dont la lésion organique pro-
    duirait le syndrome organique correspondant, si Гоп se souvient
    qu’on s’est habitué à localiser la lésion hystérique dynamique
    de même manière que la lésion organique, on est porté à croire
    que sous l'expression ,lésion dynamique“ se cache l’idée d’une
    lésion comme l'oedéme, l'anémie, qui, en vérité, sont des affections
    organiques passagères. J'affirme par contre que la lésion des
    paralysies hystériques doit être tout à fait indépendante de
    l'anatomie du système nerveux, puisque Vhystérie se comporte
    dans ses paralysies et autres manifestations comme si l'anatomie
    n'existait pas, ou comme si elle n'en avait nulle connaissance.

    Un bon nombre des caractères des paralysies hystériques
    justifient en vérité cette affirmation. L'hystérie est ignorante de
    la distribution des nerfs et c'est pour cette raison qu'elle ne
    simule pas les paralysies périphéro-spinales ou de projection;
    elle ne connaît pas le chiasma des nerfs optiques et con-
    séquemment elle ne produit pas l’hémianopsie. Elle prend 8
    organes dans le sens vulgaire, populaire du nom qu’ils portent:
    la jambe est la jambe jusqu’à l’insertion de la hanche, le bras
    est l’extrémité supérieure comme elle se dessine sous les vête-
    ments. Il n’y a pas de raison pour joindre à la paralysie du
    bras la paralysie de la face. L’hystérique qui ne sait pas parler

  • S.

    41

    n’a pas de motif pour oublier l’intelligence du langage, puisque
    aphasie motrice et surdité verbale n’ont aucune parenté dans
    la notion populaire, etc. Je ne peux que m'associer pleinement
    sur ce point aux vues que M. Janet a avancées dans les derniers
    numéros des Archives de Neurologie; les paralysies hystériques
    en donnent la preuve aussi bien que les anesthésies et les sym-
    ptômes psychiques.

    IV. — Je tâcherai enfin de développer comment pourrait
    être la lésion qui est la cause des paralysies hystériques. Je ne
    dis pas que je montrerai comment elle est en fait; il s’agit
    seulement d’indiquer la ligne de pensée qui peut conduire à
    une conception qui ne contredit pas aux propriétés de la para-
    lysie hystérique, en tant qu’elle diffère de la paralysie organique
    cérébrale.

    Je prendrai le mot ,lésion fonctionnelle ou dynamique“
    dans son sens propre: ,altération de fonction ou de dynamisme";
    altération d’une propriété fonctionnelle. Une telle altération serait
    par exemple une diminution de l’excitabilité ou d’une qualité
    physiologique qui dans l’état normal reste constante ou varie
    dans des limites déterminées.

    Mais dira-t-on, l’altération fonctionnelle n’est pas autre chose,
    elle n’est qu’un autre côté de l’altération organique. Supposons
    que le tissu nerveux soit dans un état d’anémie passagère, son
    excitabilité sera diminuée par cette circonstance, il n’est pas
    possible d’éviter d’envisager les lésions organiques par ce moyen.

    J'essaierai de montrer qu’il peut y avoir altération fonc-
    tionnelle sans lésion organique concomitante, sans lésion grossière
    palpable du moins, même au moyen de l’analyse la plus déli-
    cate. En d’autres termes, je donnerai un exemple approprié
    d’une altération de fonction primitive; je ne demande pour cela
    que la permission de passer sur le terrain de la psychologie,
    qu'on ne saurait éviter quand on traite de l'hystérie.

    Je dis avec M. Janet, que c’est la conception banale, po-
    pulaire des organes et du corps en général, qui est en jeu dans
    les paralysies hystériques comme dans les anesthésies, etc. Cette
    conception n’est pas fondée sur une connaissance approfondie
    de l’anatomie nerveuse mais sur nos perceptions tactiles et sur-
    tout visuelles. Si elle détermine les caractères de la paralysie

  • S.

    42

    hystérique, celle-lå doit bien se montrer ignorante et indépen-
    dante de toute notion de l’anatomie du système nerveux. La
    lésion de la paralysie hystérique sera donc une altération de la
    conception, de l’idée de bras, par exemple. Mais de quelle sorte
    est cette altération pour produire la paralysie?

    Considérée psychologiquement, la paralysie du bras con-
    siste dans le fait que la conception du bras ne peut pas entrer
    en association avec les autres idées qui constituent le moi dont
    le corps de Vindividu forme une partie importante. La lésion
    serait donc l'abolition de l'accessibilité associative de la conception
    du bras. Le bras se comporte comme s’il n’existait pas pour le
    jeu des associations. Assurément si les conditions matérielles,
    qui correspondent å la conception du bras, se trouvent profondé-
    ment altérées, cette conception sera perdue aussi, mai j'ai à
    montrer qu’elle peut être inaccessible sans qu’elle soit détruite
    et sans que son substratum matériel (le tissu nerveux de la
    région correspondante de l’écorce) soit endommagé.

    Je commencerai par des exemples tirés de la vie sociale.
    On raconte l’histoire comique d’un sujet loyal qui ne voulut
    plus laver sa main, parce que son souverain l’avait touchée. La
    relation de cette main avec l’idée du roi semble si importante
    à la vie psychique de l’individu, qu'il se refuse à faire entrer
    cette main en d’autres relations. Nous obéissons à la même im-
    pulsion si nous cassons le verre dans lequel nous avons bu à
    la santé de jeunes mariés; les anciennes tribus sauvages brûlant
    le cheval, les armes et même le femmes du chef mort, avec son
    cadavre, obéissaient à cette idée que nul ne devait plus le
    toucher après lui. Le motif de toutes ces actions est bien clair.
    La valeur affective que nous attribuons à la première associa-
    tion d’un objet répugne à la faire entrer en association nou-
    velle avec un autre objet et par suite rend l’idée de cet objet
    inaccessible à l’association.

    Ce n’est pas une simple comparaison, c’est presque la chose
    identique, si nous passons dans le domaine de la psychologie
    des conceptions. Si la conception du bras se trouve engagée
    dans une association d’une grande valeur affective, elle sera in-
    accessible au jeu libre dés autres associations. Le bras sera
    paralysé en proportion de la persistance de cette valeur affective

  • S.

    43

    ou de sa diminution par des moyens psychiques appropriés. C'est
    la solution du problåme que nous avons posé, car, dans tous
    le cas de paralysie hystérique, ou trouve que l’organe paralysé
    ou la fonction abolie est engagé dans une association subconsciente
    qui est munie d’une grande valeur affective, et l’on peut montrer
    que le bras devient libre aussitôt que celte valeur affective est
    effacée. Alors la conception du bras existe dans le substratum
    matériel, mais elle n’est pas accessible aux associations et im-
    pulsions conscientes parce que tout son affinité associative, pour
    ainsi dire, est saturée dans une association subconsciente avec
    le souvenir de l'événement, du trauma, qui a produit cette
    paralysie.

    C’est M. Charcot qui nous a enseigné le premier qu’il faut
    s'adresser à la psychologie pour l'explication de la névrose
    hystérique. Nous avons suivi son exemple, Breuer et moi, dans
    un mémoire préliminaire (Über den psychischen Mechanismus
    hysterischer Phänomene, Neurolog. Centralblatt, Nr. 1 und 2, 1893).
    Nous démontrons dans ce mémoire que les symptómes perma-
    nents de l'hystérie dite non traumatique s'expliquent (à part les
    stigmates) par le móme mécanisme que Charcot a reconnu dans
    les paralysies traumatiques. Mais nous donnons aussi la raison
    pour laquelle ces symptómes persistent et peuvent étre guéris
    par un procédé spécial de psychothérapie hypnotique. Chaque
    événement, chaque impression psychique est munie d'une certaine
    valeur affective (Affektbetrag), dont le moi se délivre ou par la
    voie de réaction motrice ou par un travail psychique associatif.
    Si l'individu ne peut ou ne veut s'acquitter du surcroit, le sou-
    venir de cette impression acquiert l'importance d'un trauma et
    devient la cause de symptómes permanents d'hystérie. L'im-
    possibilité de l'élimination s'impose quand l'impression reste dans
    le subconscient. Nous avons appelé cette théorie: Das Abrea-
    gieren der Heixxuwüchse.

    En résumé, je pense qu'il est bien en accord avec notre
    vue générale sur l'hystérie, telle que nous l'avons pu former
    d'aprés l'enseignement de M. Charcot, que la lésion dans les
    paralysies hystériques ne consiste pas en autre chose que dans
    linaccessibilité de la conception de l'organe ou de la fonction
    pour les associations du moi conscient, que cette altération pure-

  • S.

    44

    ment fonctionelle (avec intégrité de la conception méme) est
    causée par la fixation de cette conception dans une association
    subconsciente avec le souvenir du trauma et que cette concep-
    tion ne devient pas libre et accessible tant que la valeur affective
    du trauma psychique n’a pas été éliminée par la réaction motrice
    adéquate ou par le travail psychique conscient. Mais même si
    ce mécanisme n’a pas lieu, s’il faut pour la paralysie hystérique
    toujours une idée autosuggestive directe comme dans les cas
    traumatiques de M. Charcot, nous avons réussi à montrer de
    quelle nature la lésion ou plutôt l’alteration dans la paralysie
    hystérique devrait être, pour expliquer ses différences avec la
    paralysie organique cérébrale.