L’ hérédité et l’étiologie des névroses 1896-001/1896
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    4° Année. 30 Mars 18986. № 6.

    SOMMAIRE DU N° 6

    Pages,
    I. — TRAVAUX ORIGINAUX. — L’hérédité et l’étiologie des névroses, par
    su. eo» (file Wiech ‏ה‎ Sao ER SPP 161

    II. — ANALYSES. — Anatomie pathologique : 237) JOUKOFF. Influence de
    l'inanition sur le développement du système nerveux central. 238) GALAVIELLE
    et VILLARD. Sarcome du cerveau. 239) KLIPPEL. Comment débutent les dégéné-
    rescences spinales. 240) NAGEOTTE. La méningo-myélite dans le tabes, la paraly-
    sie générale et la syphilis spinale. 241) SCHLESINGER. Névrites relevant des
    lésions vasculaires. 242) RAKHMANINOFF. Fibro-myômes des nerfs et de la peau
    (fig.20 et 21).— Neuropathologie : 243) PAILHAS. Aphasie transitoire au cours
    d'une pneumonie. 244) J. ROUX. Rapports de l’hémianopsie et de la cécité ver-
    bale. 245) PAILHAS. Maladie de Landry, aphasie et troubles circulatoires. 246)
    С. BALLET. Migraine ophtalmoplégique. 247) J. VOISIN её R. PETIT. L'intoxica-
    tion dans l'épilepsie. 248) P. JANET. Hémianopsie hystérique. 249) SPANBOCK.
    Hysterie avec « akinesia algera ». 250) LOCHTCHILOFF. Quatre cas de narco-
    (Gr Paten .».... ................................................ 170

    III. — SOCIÉTÉS SAVANTES. — 251) GOLZINGUER. Conducteur de la sensibilité
    dans la moelle. 252) BAJENOFF, Assistance des aliénés à Suint-Petersbourg. 253)
    FINKELSTEIN. Deux cas de folie transformée, 254) NÉARONOFF. Maladie de
    Thomsen. 255) LUBINOFF. Fracture spontanée chez un épileptique. 256) AUTO-
    NOWSKI. Hydatide de la fosse rhomboïdale. 257) GOVSEEFF. Traitement des
    aliénés par séjour au lit. 258) KISSEL. Myxædéme traité par la glande thyroïde.
    259) ROTH. Assistance des idiots et des épileptiques. 260) FRAENKEL. La subs-
    tance active de la glande thyroïde. 261) SCHIFF. Lésion rare du cône médullaire.
    262) NEURATH. Hydrocéphalie acquise, 263) FREY, Fracture du crâne, trépana-
    tion, guérison. 264) NEURATH. Hémiplégie suite de coqueluche. 265) WEISS.
    Convulsions tétaniformes du membre supérieur. 266) REDLICH. Syringomyélie.
    267) REICHET. Névrite alcoolique. 268) SCHLESINGER. Névrite arsenicale. 269)
    FISCHER. Glande thyroïde et appareil génital de la femme................. om LOU

    IV. | BIBLIOGRAPHIE. — 270) MARINESCO. Atlas d'histologie pathologique.
    271) GARNIER. Les fétichistes, pervertis et intervertis sexuels. 272) DE SANCTIS.
    Les songes et le sommeil dans l'hystérie et l’épilepsie...................... 189

    V. — CORRESPONDANCE.......... ............. ...................».... 192

    TRAVAUX ORIGINAUX

    UHEREDITE ET L’ÉTIOLOGIE DES NÉVROSES

    Par le Dr Sigm, Freud, de Vienne (Autriche).

    Je m’adresse spécialement aux disciples de J.-M. Charcot pour faire valoir
    quelques objections contre la théorie étiologique des névroses qui nous a été
    transmise par notre maître.

    On sait quel est le rôle attribué à l'hérédité nerveuse dans cette théorie. Elle
    est pour les affections névrosiques la seule cause vraie et indispensable, les
    autres influences étiologiques ne devant aspirer qu'au nom d'agents provoca-
    teurs.

    Ainsi le maître lui-même et ses élèves, MM. Guinon, Gilles de la Tourette,
    Janet et d'autres l'ont énoncé pour la grande névrose, l'hystérie et, je crois, la
    même opinion est soutenue en France et un peu partout pour les autres névroses,

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    bien qu'elle n'ait pas été émise d'une manière aussi solennelle et décidée pour
    ces états analogues à l'hystérie.

    C’est depuis longtemps que j'entretiens quelques soupçons dans cette matière,
    mais il m'a fallu attendre pour trouver des faits d'appui dans l'expérience jour-
    naliére du médecin. Maintenant mes objections sont d'un double ordre, argu-
    ments de faits et arguments tirés de la spéculation. Je commencerai par les pre-
    miers, en les arrangeant selon l'importance que je leur concede.

    I. — a) On a parfois jugé comme nerveuses et démonstratives d'une tendance
    névropathique héréditaire, des affections qui assez souvent sont étrangéres au
    domaine de la neuropathologie et ne dépendent pas nécessairement d'une
    maladie du systéme nerveux. Ainsi les névralgies vraies de la face et nombre
    des céphalées, qu'on croyait nerveuses, mais qui dérivent plutót des altérations
    pathologiques post-infectieuses et des suppurations dans le systéme cavitaire
    pharyngo-nasal. Je me tiens persuadé, que les malades en profiteraient si nous
    abandonnions plus souvent le traitement de ces affections aux chirurgiens rhi-
    nologistes.

    6) On a accepté comme donnant lieu à la charge de tare nerveuse héréditaire
    pour le malade en question toutes les affections nerveuses trouvées dans sa
    famille sans en compter la fréquence et la gravité. N'est-ce pas que cette
    maniére de voir semble contenir une séparation nette entre les familles indemnes
    de toute prédisposition nerveuse et les familles qui y soient sujettes sans borne
    ni restriction ? Etles faits ne plaident-ils pas plutót en faveur de l'opinion opposée,
    savoir qu'il y ait des transitions et des degrés de disposition nerveuse et qu'au-
    cune famille n’y échappe tout à fait.

    с) Assurément notre opinion sur le rôle étiologique de l'hérédité dans les
    maladies nerveuses doit étre le résultat d'un examen impartial statistique et non
    pas d'une petitio principii. Tant que cet examen n'aura pas été fait on devrait
    croire l'existence des névropathies acquises aussi possible que celle des névro-
    palhies héréditaires. Mais s'il peut y avoir des névropathies acquises par des
    hommes non prédisposés, on ne pourra plus nier que les affections nerveuses
    rencontrées chez les parents de notre malade, ne soient en partie de cette ori-
    gine. Alors on ne saura plus les invoquer comme preuves concluantes de la
    disposition héréditaire, qu'on impose au malade à raison de son histoire fami-
    liale, puisque le diagnostic rétrospectif des maladies des ascendan!s ou des
    membres absents de la famille ne réussit que trés rarement.

    а) Geux qui se sont attachés à M. Fournier et à M. Erb concernant le rôle
    ¢tiologique de la syphilis dans le tabes dorsal et la paralysie progressive, ont
    appris qu'il faut reconnaitre des influences étiologiques puissantes dont la
    collaboration est indispensable pour la pathogénie de certaines maladies, que
    l'hérédité à elle seule ne saurait produire. Cependant M. Charcot est demeuré jus-
    qu'à son dernier temps, comme j'ai su par une lettre privée du maitre, en stricte
    opposition contre la théorie de Fournier qui pourtant gagne du terrain de jour
    en jour.

    e) Il n'est pas douteux que certaines névropathies peuvent se développer chez
    l'homme parfaitement sain et de famille irréprochable. C'est ce qu'on observe tous
    les jours pour la névrasthénie de Beard ; si la névrasthénie se bornait aux gens
    prédisposés elle n'aurait jamais gagné l'importance et l'étendue que nous lui
    connaissons.

    7) Il y a dans la pathologie nerveuse, Vhérédité similaire et l'hérédité dite dissimi-
    (aire. Pour la première on ne trouvera rien à redire; c'est même trés remar-

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    quable, que dans les affections qui dépendent de l'hérédité similaire (maladie de
    Thomsen, de Friedreich ; myopathies, chorée de Huntington, etc.) on ne ren-
    contre jamais la trace d'une autre influence étiologique accessoire. Mais l'héré-
    dité dissimilaire, beaucoup plus importante que l’autre, laisse des lacunes qu’il
    faudrait combler pour arriver à une solution satisfaisante des problèmes étiolo-
    giques. Elle consiste dans le fait que les membres de la même famille se mon-
    trent visités par les névropathies les plus diverses, fonctionnelles et organiques,
    sans qu'on puisse dévoiler une loi qui dirige la substitution d’une maladie pour
    une autre ou l'ordre de leur succession à travers les générations. A côté des
    individus malades il y a dans ces familles des personnes qui restent saines, et
    la théorie de l'hérédité dissimilaire ne nous dit pas pourquoi cette personne
    supporte la même charge héréditaire sans y succomber, ni pourquoi une autre
    personne malade aura choisi, parmi les affections qui constituent la grande
    famille névropathique, une telle affection nerveuse au lieu d'en avoir choisi une
    autre, l'hystérie au lieu de l'épilepsie, de la vésanie, etc. Comme il n'y a pas
    une fortuité, en pathogénie nerveuse pas plus qu'ailleurs, il faut bien concéder
    que ce n'est pas l'hérédité qui préside au choix de la névropathie qui se déve-
    loppera chez le membre d'une famille prédisposé, mais qu’il y a lieu de soup-
    çonner l'existence d'autres influences étiologiques, d'une nature moins com-
    préhensible, qui mériteraient alors le nom d’une étiologie spécifique de telle ou
    telle affection nerveuse. Sauf l'existence de ce facteur étiologique spécial
    l'hérédité n'aurait pu rien faire elle se serait prétée à la production d'une autre
    névropathie si l'étiologie spécifique en question avait été substituée par une
    influence quelqu'autre.

    II. — On a trop peu recherché ces causes spécifiques et déterminantes des
    névropathies, l’attention des médecins demeurant éblouie par la grandiose pers-
    pective de la condition étiologique héréditaire.

    Néanmoins elles méritent bien qu'on les rende l'objet d'une étude assidue;
    bien que leur puissance pathogénique ne soit en général qu'accessoire à celle de
    l'hérédité, un grand intérét pratique se rattache à la connaissance de cette étio-
    logie spécifique qui prétera un acces à notre travail thérapeutique, tandis que la
    disposition héréditaire, fixée d'avance pour le malade dés sa naissance, arréte nos
    efforts en pouvoir inabordable.

    Je me suis engagé depuis des années dans la recherche de l'étiologie des
    grandes névroses (états nerveux fonctionnels analogues à l'hystérie) et c'est le
    résultat de ces études que je raconterai dans les lignes qui vont suivre. Pour
    éviter tout malentendu possible j'exposerai d'abord deux remarques sur la noso-
    graphie des névroses et sur l'étiologie des névroses en général.

    II m'a fallu commencer mon travail par une innovation nosographique. A côté
    de l'hystérie j'ai trouvé raison de placer la névrose des obsessions (Zwangsneu-
    rose) comme affection autonome et indépendante, bien que la plupart des auteurs
    fassent ranger les obsessions parmiles syndromes constituant la dégénérescence
    mentale oules confondent avec la névrasthénie. Moi, j'avais appris par l'examen de
    leur mécanisme psychique, que les obsessions sont liées à l'hystérie plus étroite-
    ment qu'on ne croirait.

    Hystérie et névrose d'obsessions forment le premier groupe des grandes
    névroses, que j'ai étudiées, Le second contient la névrasthénie de Beard que j'ai
    décomposée en deux états fonctionnels séparés par l'étiologie comme par l'aspect
    symptomatique, la névrasthénie propre et la névrose d'angoisse (Angstneurose), deno-
    mination qui, soit dit en passant, ne me convient pas à moi-même. J'ai donné les

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    raisons de cette séparation, que je crois nécessaire, en détail dans un mémoire
    publié en 1895. (Neurologisches Centralblatt, nº 10-11).

    Quant à l'étiologie des névroses, je pense qu’on doit reconnaître en théorie que
    les influences étiologiques différentes entre elles par leur dignité et maniére de
    relation avec l'effet qu'elles produisent, se laissent ranger en trois classes:
    1) Conditions, qui sont indispensables pour la production de l'affection en ques-
    tion, mais qui sont de nature universelle et se rencontrent aussi bien dans l'étio-
    logie de beaucoup d'autres affections ; 2) Causes concurrentes, qui partagent le carac-
    tére des conditions qu'elles fonctionnent dans la causation d'autres affections
    aussi bien que dans celle de l'affection en question, mais qui ne sont pas indis-
    pensables, pour que cette derniére se produise; 3) Causes spécifiques, autant indis-
    pensables que les conditions, mais de nature étroite et qui n'apparaissent que
    dans l'étiologie de l'affection, de laquelle elles sont spécifiques.

    Eh bien, dans la pathogénése des grandes névroses l'hérédité remplit le róle
    d'une condition, puissante dans tous les cas et méme indispensable dans la plupart
    des cas. Elle ne saurait se passer de la collaboration des causes spécifiques,
    mais l'importance de la disposition héréditaire se trouve démontrée par le fait
    que les mémes causes spécifiques agissant sur un individu sain ne produiraient
    aucun effet pathologique manifeste pendant que chez une personne prédisposéeleur
    action fera éclore la névrose, de laquelle le développement en intensité et étendue
    sera conforme au degré de cette condition héréditaire.

    L'action de l'hérédité est donc comparable à celle du fil multiplicateur dans le
    circuit électrique, qui exagére la déviation visible de l'aiguille, mais qui ne pourra
    pas en déterminer la direction,

    Dans les relations qui existent entre la condition héréditaire et les causes
    spécifiques des névroses il y a encore autre chose à noter. L'expérience montre,
    ce qu'on aurait pu supposer d'avance, qu'on ne devrait pas négliger dans ces ques-
    tions d'étiologie les quantités relatives pour ainsi dire des influences étiologiques.
    Mais on n'aurait pas deviné le fait suivant, qui semble découler de mes observa-
    tions, que l'hérédité et les causes spécifiques peuvent se remplacer par le cóté
    quantitatif, que le méme effet pathologique sera produit par la concurrence d'une
    étiologie spécifique trés sérieuse avec une disposition médiocre ou d'une hérédité
    nerveuse chargée avec une influence spécifique légére. Alors ce n'est qu'un
    extréme bien plausible de cette série, qu'on rencontre aussi des cas de névroses,
    où on cherchera en vain un degré appréciable de disposition héréditaire, pourvu
    que ce manque soit compensé par une puissante influence spécifique.

    Comme causes concurrentes ou accessoires des névroses, on peut énumérer tous
    les agents banals rencontrés ailleurs : émotions morales, épuisement somatique,
    maladies aigués, intoxications, accidents traumatiques, surmenage intellec-
    tuel, etc. Je tiens à la proposition qu'aucun d'eux, ni méme le dernier, n'entre
    réguliérement ou nécessairement dans l'étiologie des névroses, et je sais bien
    qu'énoncer cette opinion c'est se mettre en opposition directe contre une théorie
    considérée comme universelle et irréprochable. Depuis que Beard avait déclaré
    la névrasthénie étre le fruit de notre civilisation moderne, il n'a trouvé que des
    croyants; mais il m'est impossible à moi d'accepter cette opinion. Une étude
    laborieuse des névroses m'a appris que l'étiologie spécifique des névroses s'est
    soustraite à la connaissance de Beard.

    Je ne veux pas déprécier l'importance étiologique de ces agents banals. lls
    sont trés variés, d'une occurrence fréquente, et accusés le plus souvent par les
    malades mémes, ils se rendent plus évidents que les causes spécifiques des

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    névroses, étiologie ou cachée ou ignorée. Ils remplissent assez souvent la fonc-
    tion des agents provocateurs qui rendent manifeste la névrose jusque-la latente,
    et un intérét pratique se rattache a eux, parce que la considération de ces causes
    banales peut préter des points d’appui a une thérapie qui ne vise pas la guérison
    radicale, et qui se contente de refouler l'affection à son état antérieur de
    latence.

    Mais on n arrive pas à constater une relation constante et étroite entre une de
    ces causes banales et telle ou autre affection nerveuse; l'émotion morale, par
    exemple, se trouve aussi bien dans l’étiologie de l'hystérie, des obsessions, de la
    névrasthénie, comme dans celle de l'épilepsie, de la maladie de Parkinson, du
    diabète, et nombre d'autres.

    Les causes concurrentes banales pourront aussi remplacer l'étiologie spéci-
    fique en rapport de quantité, mais jamais la substituer complétement. Il y a
    nombre de cas oü toutes les influences étiologiques sont représentées par la
    condition héréditaire et la cause spécifique, les causes banales faisant défaut.
    Dans les autres cas, les facteurs étiologiques indispensables ne suflisent pas par
    leur quantité à eux pour faire éclater la névrose, un état de santé apparente
    peut être maintenu pour longtemps, qui est en vérité un état de prédisposition
    névrosique ; il suffit alors qu'une cause banale surajoute son action, la névrose
    devient manifeste. Mais il faut bien remarquer, dans de telles conditions, que
    la nature de l'agent banal survenant est tout à fait indifférente, émotion,
    traumatisme, maladie infectieuse ou autre; l'effet pathologique ne sera pas
    modifié selon cette variation, la nature de la névrose sera toujours dominée par
    la cause spécifique préexistante.

    Quelles sont donc ces « causes spécifiques des névroses? Est-ce une seule ou
    y en a-t-il plusieurs ? Et peut-on constater une relation étiologique constante entre
    telle cause et tel effet névrosique, de maniére que chacune des grandes névroses
    puisse étre ramenée à une étiologie particuliére ?

    Je veux maintenir, appuyé sur un examen laborieux des faits, que cette der-
    niére supposition correspond bien à la réalité, que chacune des grandes névroses
    énumérées a pour cause immédiate un trouble particulier de l'économie ner-
    veuse, et que ces modifications pathologiques fonctionnelles reconnaissent comme
    source commune la vie sexuelle de l'individu, soit désordre de la, vie sexuelle actuelle, soit
    événements importants de la, vie passée,

    Ce n'est pas, à vrai dire, une proposition nouvelle, inouie. On a toujours
    admis les désordres sexuels parmi les causes de la nervosité, mais on les a
    subordonnés à l'hérédité, coordonnés aux autres agents provocateurs; on a
    restreint leur influence étiologique à un nombre limité des cas observés. Les
    médecins avaient méme pris l'habitude de ne pas les rechercher si le malade ne
    les accusait lui-méme. Les caractéres distinctifs de ma maniére de voir sont
    que j'éléve ces influences sexuelles au rang de causes spécifiques, que je
    reconnais leur action dans tous les cas de névrose, enfin que je trouve un paral-
    lélisme régulier, preuve de relation étiologique particuliére entre la nature de
    l'influence sexuelle et l'espéce morbide de la névrose.

    Je suis bien sür que cette théorie évoquera un orage de contradictions de la part
    des médecins contemporains. Mais ce n'est pas ici le lieu de donner les docu-
    ments et les expériences, qui m'ont imposé ma conviction, ni d'expliquer le vrai
    sens de l'expression un peu vague « désordres de l'économie nerveuse ». Ce sera
    fait, j'espére le plus amplement, dans un ouvrage que je prépare sur la matiére.
    Dans le mémoire présent je me borne à énoncer mes résultats.

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    La névrasthénie propre, d'un aspect clinique très monotone, si l'on a mis à
    part la névrose d'angoisse (fatigue, sensation de casque, dyspepsie flatulente,
    obstipation, paresthésies spinales, faiblesse sexuelle, etc.) ne reconnait comme
    éliologie spécifique que Vonanisme (immodéré) ou les pollutions spontanées.

    C’est l’action prolongée et intensive de cette satisfaction sexuelle pernicieuse
    qui suffit à elle-même pour provoquer la névrose névrasthénique ou qui impose
    à ce sujet le cachet névrasthénique spécial manifesté plus tard sous l'influence
    d'une cause occasionnelle accessoire. J’ai rencontré aussi des personnes qui pré-
    sentaient les signes de la constitution névrasthénique chez lesquels je n'ai pas
    réussi à mettre en évidence l’étiologie nommée, mais j'ai constaté au moins que
    chez ces malades la fonction sexuelle n’était jamais développée au niveau normal;
    ils semblaient doués par héritage d’une constitution sexuelle, analogue à celle
    qui chez le névrasthénique est produite en conséquence de l'onanisme.

    La névrose d'angoisse, de laquelle le tableau clinique est beaucoup plus riche
    (irritabilité, état d'attente anxieuse, phobies, attaques d'angoisse complétes ou
    rudimentaires, de peur, de vertige, tremblements, sueurs, congestion, dyspnée,
    tachycardie, etc.; diarrhée chronique, vertige chronique de locomotion, hyperes-
    thésie, insomnies etc.) (1), est facilement dévoilée comme l'effet spécifique de
    divers désordres de la vie sexuelle, qui ne manquent pas d'un caractére commun
    à eux tous. L'abstinence forcée, l'irritation génitale fruste (qui n'est pas assouvie
    par l'acte sexuel), le coit imparfait ou interrompu (qui n'aboutit pas à la jouis-
    sance), les efforts sexuels, qui surpassent la capacité psychique du sujet, е(с.,
    tous ces agents, qui sont d'une occurrence trop fréquente dans la vie moderne,
    semblent convenir en ce qu'ils troublent l'équilibre des fonctions psychiques et
    somatiques dans les actes sexuels, et qu'ils empéchent la participation psychique
    nécessaire pour délivrer l'économie nerveuse de la tension génésique.

    Ces remarques, qui contiennent peut-étre le germe d'une explication théorique
    du mécanisme fonctionnel de la névrose en question, laissent déjà soupgonner,
    qu'une exposition complete et vraiment scientifique de la matiére ne soit pas pos-
    sible actuellement et qu'il faudrait avant tout aborderle probléme physiologique
    de la vie sexuelle sous un point de vue nouveau.

    Je finis, par dire, que la pathogénèse de la névrasthénie et de la névrose d'an-
    goisse peut se passer bien de la concurrence d'une disposition héréditaire. C'est
    le résultat de l'observation de tous les jours; mais si l'hérédité est présente, le
    développement de la névrose en subira l'influence formidable.

    Pour la deuxiéme classe des grandes névroses, hystérie et névrose d'obsessions,
    la solution de la question étiologique est d'une simplicité et uniformité sur-
    prenante. Je dois mes résultats à l'emploi d'une nouvelle méthode de psycho-
    analyse, au procédé explorateur de J. Breuer, un peu subtil, mais qu'on ne saurait
    remplacer, tant il s'est montré fertile pour éclaircir les voies obscures de l'idéa-
    tion inconsciente. Au moyen de ce procédé — qu'il ne faut pas décrire à cet
    endroit (2) — on poursuit les symptómes hystériques jusqu'à leur origine qu'on
    trouve toutes les fois dans un événement de la vie sexuelle du sujet bien appro-
    prié pour produire une émotion pénible. Allant en arrière dans le passé du
    malade, de pas en pas, et toujours dirigé par l'enchainement organique des
    symptómes, des souvenirs et des pensées éveillés, je suis arrivé enfin au point
    de départ du processus pathologique et il m'a fallu voir, qu'il y avait au fond la

    (1) Voir pour la symptomatologie comme l'étiologie de la névrose d'angoisse, mon mé-

    moire cité plus haut. Veurologisches Centralblatt, 1895, n° 10-11.
    (2) Voir : J. BREUER und SIGM. FREUD. Studien über Hysterie. Wien, 1895.

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    méme chose dans tous les cas soumis à l'analyse, l'action d'un agent, qu'il faut
    accepter comme cause spécifique de l'hystérie.

    G'est bien un souvenir qui se rapporte à la vie sexuelle, mais qui offre deux
    caractéres de la derniére importance. L'événement duquel le sujet a gardé le sou-
    venir inconscient est une expérience précoce de rapports sexuels avec irritation véritable
    des parties génitales, suite d'abus sexuel pratiqué par une autre personne et la période de
    la vie qui renferme cet événement funeste est la premiére jeunesse, les années jusqu'à
    Våge de 8-10 ans, avant que l'enfant soit arrivé à la maturité sexuelle.

    Expérience de passivité sexuelle avant la puberté : telle est donc l'étiologie spécifique
    de l'hystérie.

    Je joindrai sans retard quelques détails de faits et quelques remarques com-
    mentaires au résultat énoncé, pour combattre la méfiance que j'attends. J'ai pu
    pratiquer la psycho-analyse complete en 13 cas d'hystérie, 3 de ce nonibre com-
    binaisons vraies d'hystérie avec névrose d'obsessions (je ne dis pas : hystérie
    avec obsessions). Dans aucun de ces cas ne manquait l'événement caractérisé
    là-haut; il était représenté ou par un attentat brutal commis par une personne
    adulte ou par une séduction moins rapide, et moins repoussante, mais aboutis-
    sant à la même fin. Septfois sur treize il s'agissait d'une liaison infantile des deux
    côtés, de rapports sexuels entre une petite fille et un garçon un peu plus âgé, le
    plus souvent son frère, et lui-même victime d'une séduction antérieure. Ces
    liaisons s'étaient continuées quelquefois pendant des années jusqu'à la puberté
    des petits coupables, le garçon répétant toujours et sans innovation sur la petite
    fille les mêmes pratiques, qu’il avait subi lui-même de la part d'une servante ou
    gouvernante, et qui pour cause de cette origine étaient souvent de nature dégoü-
    tante. Dans quelques cas il y avait concurrence d'attentat et de liaison infantile,
    ou abus brutal réitéré.

    La date de l'expérience précoce était variable: en 2 cas la série commençait
    dans la deuxième année (?) du petit être ; Page de préférence est dans mes obser-
    vations la quatrième ou cinquième année. C'est peut-être un peu par accident,
    mais j'ai reçu de là l'impression qu’un événement de passivité sexuelle qui n'ar-
    rive qu'après l’âge de 8 à 10 ans, ne pourra plus jeter les fondements de la
    névrose.

    Comment peut-on rester convaincu de la réalité de ces confessions d'analyse
    qui prétendent être des souvenirs conservés depuis la première enfance, et com-
    ment se munir contre l'inclination de mentir et la facilité d'invention attribuées
    aux hystériques ? Je m'accuserais de crédulité blamable moi-même, si je ne
    disposais de preuves plus concluantes. Mais c'est que les malades ne racontent
    jamais ces histoires spontanément, ni ne vont jamais dans le cours d'un traite-
    ment offrir au médecin tout d’un coup le souvenir complet d'une telle scène. On
    ne réussit à réveiller la trace psychique de l'événement sexuel précoce que sous
    la pression la plus énergique du procédé analyseur et contre une résistance
    énorme, aussi faut-il leur arracher le souvenir morceau par morceau, et pendant
    qu'il s’éveille dans leur conscience, ils deviennent la proie d'une émotion difficile
    à contrefaire.

    On finira même par se convaincre si l'on n’est pas influencé par la conduite
    des malades, pourvu qu'on puisse suivre en détail le cours d'une psycho-analyse
    d'hystérie par référé.

    L'événement précoce en question a laissé une empreinte impérissable dans
    l’histoire du cas, il y est représenté par une foule de symptômes et de traits
    particuliers, qu’on.ne saurait expliquer autrement ; il est régi d’une manière

  • S.

    168 REVUE NEUROLOGIQUE

    péremptoire par l’enchaînement subtil mais solide de la structure intrinsèque de
    la névrose ; l'effet thérapeutique de l'analyse reste en retard, si l'on n'a pas
    pénétré aussi loin ; alors on n’a pas d'autre choix que de réfuter ou de croire le
    tout ensemble.

    Peut-on comprendre, qu'une telle expérience sexuelle précoce, subie par un
    individu, duquel le sexe est à peine différencié, devienne la source d’une abnor-
    mité psychique persistante comme l’hystérie ? Et comment s’accorderait une
    telle supposition avec nos idées actuelles sur le mécanisme psychique de cette
    névrose? On peut donner une réponse satisfaisante à la première question : C'est
    justement parce que le sujet est infantile, que l'irritation sexuelle précoce produit
    nul ou peu d'effet à sa date, mais la trace psychique en est conservée. Plus tard,
    quand à la puberté se sera développée la réactivité des organes sexuels à un niveau
    presque incommensurable avec l’état infantile, il arrive d'une manière ou d'une
    autre, que cette trace psychique inconsciente se réveille. Grâce au changement
    då à la puberté le souvenir déploiera une puissance qui a fait totalement défaut
    à l'événement lui-même le souvenir agira comme s'il était un événement actuel. Il y
    a pour ainsi dire action posthume d'un traumatisme sexuel.

    Autant que je vois, ce réveil du souvenir sexuel après la puberté, l’évènement
    même étant arrivé à un temps reculé avant cette période, constitue la seule éven-
    tualité psychologique, pour que l'action immédiate d'un souvenir surpasse celle
    de l'événement actuel. Mais c'est là une constellation anormale, qui atteint un
    côté faible du mécanisme psychique et produit nécessairement un effet psychique
    pathologique.

    Je crois comprendre que cette relation inverse entre l'effet psychique du souvenir et
    de l'événement contient la raison pour laquelle le souvenir reste inconscient.

    On arrive ainsi à un problème psychique trés complexe, mais qui dûment
    apprécié promet de jeter un jour, une lumière vive sur les questions les plus
    délicates de la vie psychique.

    Les idées ici exposées, ayant pour point de départ le résultat de la psycho-
    analyse, sont qu'on trouve toujours comme cause spécifique de l'hystérie un
    souvenir d'expérience sexuelle précoce; elles ne s'accordent pas avec la théorie
    psychologique de la névrose de M. Janet, ni avec une autre, mais elles harmo-
    nisent parfaitement avec mes propres spéculations développées ailleurs sur les
    « Abwehrneurosen ».

    Tous les événements postérieurs à la puberté, auxquels il faut attribuer une
    influence sur le développement de la névrose hystérique et sur la formation de
    ses symptômes ne sont vraiment que des causes concurrentes, c agents provo-
    cateurs » comme disait Charcot, pour qui l'hérédité nerveuse occupait la place
    que je réclame pour l'expérience sexuelle précoce. Ces agents accessoires ne
    sont pas sujets aux conditions strictes, qui pésent sur les causes spécifiques ;
    l'analyse démontre d'une maniére irréfutable qu'ils ne jouissent d'une influence
    pathogéne pour l'hystérie que par leur faculté d'éveiller la trace psychique incons-
    ciente de l'événement infantile. C'est aussi grace à leur connexion avec l'empreinte
    pathogéne primaire et aspirés par elle, que leurs souvenirs deviendront incons-
    cients à leur tour et pourront aider l'accroissement d'une activité psychique
    soustraite au pouvoir des fonclions conscientes.

    La névrose d'obsessions (Zwangsneurose) reléve d'une cause spécifique trés
    analogue à celle de l'hystérie. On y trouve aussi un événement sexuel précoce,
    arrivé avant l’âge de la puberté, duquel le souvenir devient actif pendant ou
    apres cette époque, et les mémes remarques et raisonnements exposés à l'occasion

  • S.

    L'HÉRÉDITÉ ET 1, ETIOLOGIE DES NÉVROSES 169

    de l'hystérie pourront s'appliquer aux observations de l'autre névrose (six cas,
    dont trois purs). Il n'y a qu'une différence qui semble capitale. Nous avons
    trouvé au fond de l'étiologie hystérique un événement de passivité sexuelle, une
    expérience subie avec indifférence ou avec un pelit peu de dépit ou d'eflroi.
    Dans la névrose d'obsessions il s'agit au contraire d'un événement, qui a fait
    plaisir, d'une aggression sexuelle inspirée par le désir (en cas de garçon) ou
    d'une participation avec jouissance aux rapports sexuels (en cas de petite fille).
    Les idées obsédantes, reconnues par l'analyse dans leur sens intime, réduites
    pour ainsi dire à leur expression la plus simple ne sont pas autre chose que des
    reproches, que le sujet s'adresse à cause de cette jouissance sexuelle anticipée, mais des
    reproches défigurés par un travail psychique inconscient de transformation et
    de substitution.

    Le fait méme, que de telles aggressions sexuelles se passent dans un åge aussi
    tendre, semble dénoncer l'influence d'une séduction antérieure, de laquelle la
    précocité du désir sexuel soit la conséquence. L'analyse vient confirmer ce
    soupcon, dans les cas analysés par moi. On s'explique de cette maniére un fait
    intéressant toujours présent dans ces cas d'obsessions, la complication réguliére
    du cadre symptomatique par un certain nombre de symptómes simplement
    hystériques.

    L'importance de l'élément actif dela vie sexuelle pour la cause des obsessions
    comme la passivité sexuelle pour la pathogénése de l'hystérie semble méme
    dévoiler la raison de la connexion plus intime de l'hystérie avec le sexe féminin
    et de la préférence des hommes pour la névrose d'obsessions. On rencontre
    parfois des couples de malades névrosés, qui ont été un couple de petits amou-
    reux dans leur premiere jeunesse, l'homme souffrant d'obsessions, la femme
    d'hystérie; s'il s'agit d'un frére et de la sæur on pourra méprendre pour un effet
    de l'hérédité nerveuse, ce qui en vérité dérive d'expériences sexuelles précoces.

    Il y a sans doute des cas d'hystérie ou d'obsession purs et isolés, indépendants
    de névrasthénie ou névrose d'angoisse ; mais ce n'est pas la régle. Plus souvent
    la psycho-névrose se présente comme accessoire aux névroses névrasthéniques,
    évoquée par eux et suivant leur décours. C'est parce que les causes spéciliques
    des derniers, les désordres actuels de la vie sexuelle, agissent en méme temps
    comme causes accessoires des psychonévroses, dont ils éveillent et raniment la
    cause spécifique, le souvenir de l'expérience sexuelle précoce.

    Quant à l'hérédité nerveuse, je suis loin de savoir évaluer au juste son influence
    dans l'étiologie des psycho-névroses. Je concéde que sa présence est indis-
    pensable dans les cas graves, je doute qu'elle soit nécessaire pour les cas légers,
    mais je suis convaincu que l'hérédité nerveuse à elle seule ne peut pas produire
    les psycho-névroses, sileur étiologie spécifique, lirritation sexuelle précoce, fait
    défaut. Je vois méme, que la question de savoir laquelle des névroses, hystérie
    ou obsessions, se développera dans un cas donné, n'est pas jugée par l'hérédité
    mais par un caractère spécial de cet événement sexuel de la première jeunesse,