S.
VI.
Obsessions et phobies.
Leur mécanisme psychique et leur étiologie”).Je commencerai par contester deux assertions, qui se trou-
vent souvent répétées sur le compte des syndromes: ,obsessions
et phobies“. Il faut dire: 1° qu’ils ne se rattachent pas a la
neurasthénie propre, puisque les malades atteints de ces symp-
tômes sont aussi souvent des neurasthéniques que non; 2° qu’il
n’est pas justifié de les faire dépendre de la dégénération
mentale, parce qu’ils se trouvent chez de personnes pas plus
dégénérées que la plupart des névrosiques en général, parce
qu’ils s'amendent quelquefois et qu’on parvient même quelque-
fois à les guérir”).Les obsessions et les phobies sont des névroses à part,
d'un mécanisme spécial et d'une étiologie que j'ai réussi à mettre
en lumière dans un certain nombre de cas, et qui, je l'espère,
se montreront de même dans bon nombre de cas nouveaux.Quant à la division du sujet je propose d’abord d’écarter
une classe d'obsessions intenses, qui ne sont autre chose que des
souvenirs, des images non altérées d’événements importants. Je
citerai, par exemple, l’obsession de Pascal qui croyait toujours
voir un abîme à son côté gauche, ,depuis qu’il avait manqué
d’être précipité dans la Seine avec son carrosse“. Ces obsessions1) Revue neurologique, III, 1895.
3) Je suis très content de trouver que les auteurs les plus récents
sur notre sujet expriment des opinions voisines de la mienne, Voir: Gé-
lineau, Des peurs maladives ou phobies, 1894, et Hack Tuke, On impera-
tive ideas, Brain, 1894.S.
86
et phobies, qu’on pourrait nommer traumatiques, se rattachent
aux symptômes de l'hystérie.Ce groupe à part il faut distinguer: A) les obsessions
vraies; B) les phobies. La différence essentielle est la suivante.Il y a dans toute obsession deux choses: ⑩ une idée qui
s'impose au malade; 2% un état émotif associé. Or, dans la
classe des phobies, cet état émotif est toujours l’angoisse, pen-
dant que dans les obsessions vraies ce peut être au même titre
que l’anxiété un autre état émotif, comme le doute, le remords,
la colère. Je tâcherai d'abord d'expliquer le mécanisme psycho-
logique vraiment remarquable des obsessions vraies, qui est bien
différent de celui des phobies.1
Dans beaucoup d’obsessions vraies, il est bien évident que
l’état émotif est la chose principale, puisque cet état persiste
inaltéré pendant que l’idée associée est variée. Par exemple, la
fille de observation I, avait des remords, un peu en raison de
tout, d’avoir volé, maltraité ses sæurs, fait de la fausse monnaie,
etc. Les personnes qui doutent, doutent de beaucoup de choses
à la fois ou successivement. C'est l’état émotif qui, dans ces
cas, reste le même: l'idée change. En d'autres cas l'idée aussi
semble fixée, comme chez la fille de l'observation IV, qui pour-
suivait d'une haine incompréhensible les servantes de la maison
en changeant pourtant de personne.Eh bien, une analyse psychologique scrupuleuse de ces
cas montre que l'état émotif, comme tel, est toujours justifié. La
fille I, qui a des remords, a de bonnes raisons; les femmes de
l'observation III qui doutaient de leur résistance contre des
tentations savaient bien pourquoi; la fille de l’observation IV,
qui détestait les servantes, avait bien le droit de se plaindre,
etc. Seulement, et c’est dans ces deux caractères que consiste
l'empreinte pathologique: 1) l’état émotif s’est éternisé, 2) l'idée
associée n'est plus l’idée juste, l'idée originale, en rapport avec
l'étiologie de Pobsession, elle en est un remplaçant, une substitution.La preuve en est qu’on peut toujours trouver dans les anté-
cédents du malade à l'origine de l'obsession, l’idée originale, sub-
stituée. Les idées substituées ont des caractères communs, ellesS.
87
correspondent à des impressions vraiment pénibles de la vie
sexuelle de l'individu que celui-ci s'est efforcé d’oublier. Il a
réussi seulement à remplacer l'idée inconciliable par une autre
idée mal appropriée à s'associer à l'état emotif, qui de son
côté est resté le même. C'est cette mésalliance de l’état emotif
et de l’idée associée qui rend compte du caractère d’absurdité
propre aux obsessions. Je veux rapporter mes observations, et
donner une tentative d’explication théorique comme conclusion.Obs. I, 一 Une fille qui se faisait des reproches, qu’elle savait ab-
surdes, d'avoir volé, fait de la fausse monnaie, de s'être conjurée, etc, selon
sa lecture journalière. ⑧Redressement de la substitution. — Elle se reprochait Ponanisme qu'elle
pratiquait en secret sans pouvoir y renoncer.Elle fut guérie par une observation scrupuleuse qui l’empêcha de se
masturber.Obs, II. — Jeune homme, étudiant en médecine, qui souffrait d’une
obsession analogue. Il se reprochait toutes les actions immorales: d’avoir
tué sa cousine, défloré sa sœur, incendié une maison, ete. Il parvint jusqu’à
la nécessité de se retourner dans la rue pour voir s’il n'avait pas encore
tué le dernier passant.Redressement de la substitution. — Il avait lu, dans un livre quasi-
médical, que l’onanisme, auquel il était sujet, abimait la morale, et il s’en
était ému.Obs. III. 一 Plusieurs femmes qui se plaignaient de l’obsession de
se jeter par la fenêtre, de blesser leurs enfants avec des couteaux, ciseaux, etc.Redressement. — Obsessions de tentations typiques. C’étaient des fem-
mes qui, pas du tout satisfaites dans le mariage, se débattaient contre les
désirs et les idées voluptueuses qui les hantaient à la vue d’autres hommes.Obs. IV, — Une fille qui parfaitement saine d’esprit et très intelli-
gente montrait une haine incontrôlable contre les servantes de la maison, qui
s'était éveillée à l’occasion d’une servante effrontée, et s'était transmise de-
puis de fille en fille, jusqu’à rendre le ménage impossible. C’était un senti-
ment mêlé de haine et de dégoût. Elle donnait comme motif que les saletés
de ces filles lui gátaient son idée de l'amour.Redressement. — Cette fille avait été témoin involontaire d'un rendez-
vous amoureux de sa mére. Elle s'était caché le visage, bouché les oreilles,
et s'était donné la plus grande peine pour oublier la scène, qui la dégoûtait
et laurait mise dans l'impossibilité de rester avec sa mére qu'elle aimait
tendrement. Elle y réussit, mais la colére, de ce qu'on lui avait souillé
l'image de l'amour, persista en elle, et cet état émotif ne tarda pas à s'as-
socier l'idée d'une personne pouvant remplacer la måre,Obs. V. — Une jeune fille s'était presque complètement isolée en
conséquence de la peur obsédante de l'incontinence des urines. Elle neS.
88
pouvait plus quitter sa chambre ou recevoir une visite sans avoir uriné
nombre de fois.Chez elle et en repos complet la peur n’existait pas.
Redressement. — C'était une obsession de tentation ou de méfiance.
Elle ne se méfiait pas de sa vessie mais de sa résistance contre une impul-
sion amoureuse, L'origine de l'obsession le montrait bien. Une fois, au
théåtre, elle avait senti à la vue d'un homme qui lui plaisait une envie
amoureuse accompagnée (comme toujours dans la pollution spontanée des
femmes) de l'envie d'uriner. Elle fut obligó à quitter le théåtre, et de ce
moment elle était en proie à la peur d'avoir la même sensation, mais
l'envie d'uriner s'était substitutée à l'envie amoureuse. Elle guérit com-
plétement,Les observations énumérées, bien qu’elles montrent un
degré variable de complexité, ont ceci de commun, que l'idée
originale (inconciliable) est substituée par une autre idóe, idée
remplaçante, Dans les observations qui vont suivre maintenant,
Tidée originale est aussi remplacée mais non par une autre
idée; elle se trouve substituóe par des actes ou impulsions qui
ont servi à l'origine comme soulagements ou procédés protecteurs,
et qui maintenant se trouvent en association grotesque avec un
čtat émotif qui ne leur convient pas mais qui est resté le
méme, et aussi justifió qu'à l'origine.Obs. VI. — Obsession d'arithmomanze. 一 Une femme avait contracté
le besoin de compter toujours les planches du parquet, les marches de
Tescalier, etc., ce qu'elle faisait dans un état d'angoisse ridicule.Redressement. — Elle avait commencé à compter pour se distraire
de ses idées obsédantes (de tentation). Elle y avait réussi, mais l'impulsion
de compter s'était substituée à l'obsession primitive.Obs. VIL — Obsession de „Griibelsucht* (folie de spéculation). Une
femme souffrait d'attaques de cette obsession, qui ne cessaient qu'aux
temps de maladie, pour y laisser la place à des peurs hypocondriaques. Le
sujet de l'attaque était ou une partie du corps ou une fonction, par exemple,
la respiration: Pourquoi faut-il respirer? Si je ne voulais respirer? etc.Redressement. — Tout d'abord elle avait souffert de peur de devenir
folle, phobie hypochondriaque assez commune chez les femmes non satis-
faites par leur mari, comme elle était. Pour se garantir qu'elle n'allait pas
devenir folle, qu'elle jouissait encore de son intelligence, elle avait com-
mencé à se poser des questions, à s'occuper de problémes sérieux. Cela la
tranquillisait d’abord, mais avec le temps cette habitude de la spéculation
se substituait à la phobie. Depuis plus de quinze ans des périodes de peur
(pathophobie) et de folie de spéculation alternaient chez elle.S.
89
Obs. VIII. Folie du doute. — Plusieurs cas, qui montraient les
symptömes typiques de cette obsession, mais qui s'expliquaient bien simple-
ment. Ces personnes avaient souffert ou souffraient encore d’obsessions
diverses, et la conscience que l’obsession les avait dérangées dans toutes
leurs actions et interrompu maintes fois le cours de leurs pensées provo-
quait le doute légitime dans la fidélité de leur mémoire. Chacun de nous
verra chanceler son assurance et sera obligé de relire une lettre ou de
refaire un compte si son attention a été divertie plusieurs fois pendant
l'exécution de l'acte. Le doute est une conséquence bien logique de la prè-
sence des obsessions.Obs. IX. — Folie du doute (hésitation). — La fille de l'obs. IV était
devenue extrémement tardive dans toutes les actions de la vie ordinaire,
particulièrement dans sa toilette. Il lui fallait des heures pour nouer les
cordons de ses souliers ou pour se nettoyer les ongles des mains. Elle don-
nait comme explication qu'elle ne pouvait faire sa toilette ni pendant que
les pensées obsódantes la préoccupaient, ni immédiatement aprés; de sorte
qu'elle s'était accoutumée à attendre un temps déterminé aprés chaque
retour de l’idée obsédante.Obs, X. — Folie du doute, crainte des papiers. — Une jeune femme,
qui avait souffert des scrupules aprés avoir écrit une lettre, et qui dans
ce méme temps ramassait tous les papiers qu'elle voyait, donnait comme
explication Vaveu d'un amour que jadis elle ne voulait pas confesser.A. force de se répéter sans cesse le nom de son bien-aimé, elle fut
saisie par la peur que ce nom se serait glissé dans sa plume, qu'elle l’aurait
tracé sur quelque bout de papier dans une minute pensive.)Obs. XI. — Mysophobie. — Une femme qui se lavait les mains cent
fois par jour et ne touchait les loquets des portes que du coude,Redressement. 一 C'était le cas de Lady Macbeth. Les lavages étaient
symboliques et destinés à substituer la pureté physique à la puretó morale
qu'elle regrettait avoir perdue. Elle se tourmentait de remords pour une
infidélité conjugale dont elle avait décidé de chasser le souvenir. Elle selavait aussi les parties génitales,
Quant à la théorie de cettte substitution, je me con-
tenterai de répondre à trois questions qui se posent ici:1? Comment cette substitution peut-elle se faire?
Il semble qu'elle est l'expression d'une disposition psy- 」
chique spéciale. Au moins rencontre-t-on dans les obsessions
assez souvent l'hérédité similaire, comme dans l'hystérie. Ainsi
le malade de l'obs. II me racontait que son pére avait souffert1) Voir aussi la chanson populaire allemande :
Auf jedes weiße Blatt Papier möcht’ ich es schreiben:
Dein ist mein Herz und soll es ewig, ewig bleiben.S.
90
de symptômes semblables. П me fit connaitre un jour un cousin
germain avec obsessions et tic convulsif, et la fille de sa sæur,
âgée de 11 ans, qui montrait déjà des obsessions (probablement
de remords).2° Quel est le motif de cette substitution?
Je crois qu’en peut l’envisager comme un acte de défense
(Abwehr) du moi contre l’idée inconciliable, Parmi mes malades
il y en a qui se rappellent l’effort de la volonté pour chasser
Tidée ou le souvenir pénible du rayon de la conscienco (У. les
obs. III, IV, XI). En d’autres cas cette expulsion de l’idée
inconciliable s’est produite d’une manière inconsciente qui n’a
pas laissé trace dans la mémoire des malades.8° Pourquoi l’état émotif associé à l'idée obsédante
s'est-il perpétué, au lieu de s’évanouïr comme les autres états
de notre moi?On peut donner cette réponse en s’adressant à la théorie
développée pour la genèse des symptômes hystériques par
M. Breuer et moi"). Ici je veux seulement remarquer que, par
le fait méme de la substitution, la disparition d'e l'état émotif
devient impossible.ま E
A ces deux groupes d’obsessions vraies s'ajoute la classe
des „phobies“, qu’il faut considérer maintenant. J’ai déjà men-
tionné la grande différence des obsessions et des phobies; que
dans les dernières l’état émotif est toujours l’anxiété, la peur.
Je pourrais ajouter que les obsessions sont multiples et plus
spécialisées, les phobies plutôt monotones et typiques.Mais ce n’est pas une différence capitale.
On peut discerner aussi parmi les phobies deux groupes,
caractérisés par l’objet de la peur: 1° phobies communes: peur
exagérée des choses que tout le monde abhorre ou craint un
peu: la nuit, la solitude, la mort, les maladies, les dangers en
général, les serpents, etc.; ⑳ phobies d’occasion, peur de con-
ditions spéciales, qui n’inspirent pas la crainte à l’homme sain,
par exemple l'agoraphobie et les autres phobies de la loco-
motion. Il est intéressant à noter que ces dernières phobies ne1) Neurologisches Zentralblatt, 1893, Nr. 1 und 2.
S.
91
sont pas obsédantes comme les obsessions vraies et les phobies
communes. I/état émotif ici ne parait que dans le cas de ces
conditions spéciales que le malade évite soigneusement.Le mécanisme des phobies est tout à fait différent de
celui des obsessions. Ce n'est plus le règne de la substitution.
Ici on ne dévoile plus par Vanalyse psychique une idée incon-
ciliable, substituée. On ne trouve jamais autre chose que l’état
émotif anxieux, qui par une sorte d'élection a fait ressortir
toutes les idées propres à devenir l’objet d'une phobie. Dans
le eas de l’agoraphobie, etc, on rencontre souvent le souvenir
d’une attaque d'angoisse, et en vérité ce que redoute le malade
c'est l'événement d'une telle attaque dans les conditions spéciales
où il croit ne pouvoir y échapper.L’angoisse de cet état émotif, qui est au fond des phobies,
n’est pas dérivé d’un souvenir quelconque; on doit bien se
demander quelle peut être la source de cette condition puis-
sante du système nerveux.Eh bien j'espere pouvoir démontrer une autre fois qu'il y
a lieu de constituer une névrose spéciale, la névrose anxieuse,
de laquelle cet état émotif est le symptóme principal; je
donnerai l'énumération de ses symptômes variés, et j'insisterai
en ce qu'il faut différencier cette névrose de la neurasthénie,
avec laquelle elle est maintenant confondue. Ainsi les phobies
font part de la névrose anxieuse, et elles sont presque toujours
accompagnées d’autres symptômes de la même série.La névrose ancieuse est d'origine sexuelle, elle aussi, autant
que je puis voir, mais elle ne se rattache pas à des idées
tirées de la vie sexuelle: elle n’a pas de mécanisme psychique,
à vrai dire. Son étiologie spécifique est l’accumulation de la
tension génésique, provoquée par l'abstinence ou l’irritation
génésique fruste (pour donner une formule générale pour
l'effet du coit réservé, de limpotence relative du mari, des
excitations sans satisfaction des fiancés, de l'abstinence
forcée, etc.).C’est dans de telles conditions extrêmement fréquentes,
principalement pour la femme dans la société actuelle, que se
développe la névrose anxieuse, de laquelle les phobies sont une
manifestation psychique.S.
92
Je ferai remarquer, comme conclusion, qu’il peut y avoir
combinaison de phobie et d'obsession propre, et même que c'est
un événement très fréquent. On peut trouver qu’il y avait au
commencement de la maladie une phobie développée comme sym-
ptóme de la névrose anxieuse. L'idée qui constitue la phobie qui
s’y trouve associée à la peur, peut être substituée par une autre
idée ou plutôt par le procédé protecteur qui semblait soulager la
peur. L’obs. VI (folie de la spéculation) présente un bel exemple
de cette catégorie, phobie doublée d’une obsession vraie par sub-
stitution.
Leur méchanisme psychique et leur étiologie
sksn12
85
–92